Filum
Arianum.
Le Fil d'Arius dans
l'Histoire du dogme trinitaire.
De
quoi s'agit-il
? La
piété chrétienne
s'adresse au
Père, au Fils,
et au Saint-Esprit,
formule utilisée dans cet ordre
en Matthieu
28,19;
dans 2
Corinthiens 13,13,
on a
l'expression: Que
la grâce
du Seigneur
Jésus-Christ,
l'amour de Dieu le Père, et la communion du Saint-Esprit, soient
avec vous tous. Le dogme trinitaire définit les relations entre
ces trois éléments. Sa formulation officielle est le Symbole
d'Athanase:
On va voir que la mémoire biblique de Maximin était prodigieuse.
Confession de foi arienne de l'évêque Maximin:
1. Toute cette histoire est à revoir de fond en comble. On a contesté jusqu'à l'existence du Prophète Mahomet, ou Mohammed. Il en résulte deux problèmes. D'abord cette mise en cause scandalise les Musulmans, et chacun sait que cela ne va parfois pas sans danger. Le seul moyen, à mon sens de tenter la chose dans l'esprit qu'il faut, c'est de se rappeler le scandale intérieur à notre propre Eglise protestante de France au XIX° siècle, quand on mettait en cause l'Histoire évangélique, et les disputes féroces entre les "Orthodoxes" et les "Libéraux". Avec ce rappel, on éprouvera quelque modestie, peut-être de la sympathie envers les Musulmans indignés. Il est plus facile de détruire un système que de reconstruire ensuite une Histoire sur laquelle des Croyants non savants, mais sincères et honnêtes dans leur foi en Dieu, ont construit le sens de leur vie, avec le désir de faire ce qui est juste et bon. Je ne puis que dire ici ma synthèse personnelle et sans doute provisoire.
(L'ambassadeur Agatan du roi arien wisigoth espagnol Léovigilde est venu rencontrer Chilpéric pour le convertir à l'arianisme, vers 580. Chilpéric le met en débat avec Grégoire de Tours. Et ce débat tourne à l'avantage de l'arien, avec les arguments scripturaires habituels: Le Père est plus grand que moi, etc. Mais, tombé malade à son retour en Espagne, Agatan se convertit.)
Il faut comprendre. La loi de la Gravitation Universelle découverte par Newton porte en germe la révolution religieuse. Mais elle n'est encore accessible qu'à l'élite intellectuelle, qui a des raisons d'avoir peur. L'Histoire attendra. En 1780, deux découvertes majeures, de Coulomb et Kant: Les lois de Coulomb sur l'électricité. Elles vérifient également une loi de même type que la Gravitation Universelle. Plus encore Kant, à Koenigsberg. Professeur de Mécanique et astronome, il trouve des différences entre ses calculs sur les mouvements des planètes et l'observation. Il en déduit l'existence d'une planète inconnue, dont il calcule la position. En 1781 Herschell annonce sa découverte d'Uranus, dans la position prévue par Kant. (Ce lien entre prévision par le calcul et découverte sera plus connu pour le cas de Neptune, en 1846, avec Le Verrier. Pour Kant, il est connu par Madame de Staël. MC) Peu après, il publie sa Critique de la Raison Pure. Désormais la place de Dieu n'est plus dans la gestion de la Nature, mais dans la Morale. A nous, bien sûr, de dire ce que nous entendons par la Morale, selon le proverbe: Dis-moi qui est ton Dieu, et je te dirai qui tu es. Il faut aussi mesurer le poids philosophique de la fameuse Loi de Conservation des Eléments, telle que Lavoisier la formule en 1783: Rien ne se perd, rien ne se crée dans la Nature. Il n'y a pas de Création !
(p.VIII) En terminant cette préface, j'éprouve le besoin d'exprimer mon admiration pour l'ouvrage que j'ai combattu. Il y a des chapitres entiers que j'ai lus avec ravissement. Ah! pourquoi faut-il qu'un talent si beau se consacre aussi souvent à diviser et à aigrir, au lieu de réunir, d'adoucir et d'instruire !
(p.1) Une ère nouvelle commence pour les protestants français. Solidement établis sur les bases mêmes de la constitution de l'Etat; protégés par un roi religieux mais tolérant; possédant déjà les principaux établissements nécessaires à leur culte; pouvant légitimement espérer que les autres ne se feront pas longtemps attendre; voyant des temples s'élever partout et de nouveaux pasteurs accordés à leurs églises, les protestants, rassurés sur leur avenir, peuvent et doivent reprendre cette vie intellectuelle et religieuse que tant de persécutions avaient arrêtée. Jamais, depuis l'Edit de Nantes, époque ne parut plus favorable... (Nous citons d'après la réédition de 1860. MC)
L'oeuvre de tous ces protestants éminents a été effacée même de la mémoire protestante.
Le premier point est l'exception à la Loi.
Quicumque
vult salvus esse, ante omnia opus est ut teneat catholicam fidem,
Quam
nisi quisque integram inviolatamque servaverit,absque dubito in
aeternum peribit.
Fides
autem catholica haec est,ut unum Deum in Trinitate,et Trinitatem
in unitate veneremur
Neque
confundentes personas, neque substantiam separantes.
Alia
est enim persona Patris, alia Filii, alia Spiriti sancti.
Sed
Patris, et Filii, et Spiritus sancti una est divinitas,aequalis
gloria,coaeterna majestas.
Qualis
Pater,talis Filius,talis Spiritus sanctus.
Increatus
Pater, increatus Filius, Increatus Spiritus sanctus.
Immensus
Pater, immensus Filius, immensus Spiritus sanctus.
Aeternus
Pater, aeternus Filius, aeternus Spiritus sanctus.
Et
tamen non tres aeterni,sed unus aeternus.
Sicut
non tres increati, nec tres immensi, sed unus increatus et unus
immensus.
Similiter
omnipotens Pater, omnipotens Filius, omnipotens Spiritus sanctus.
Et
tamen non tres omnipotentes, sed unus omnipotens.
Ita
Deus Pater, Deus Filius, Deus Spiritus sanctus.
Et
tamen non tres Dii, sed unus est Deus.
Ita
Dominus Pater, Dominus Filius, Dominus Spiritus sanctus.
Et
tamen non tres Domini, sed unus est Dominus.
Quia,sicut
singillatim unamquamque personam Deum ac Dominum confiteri
Christiana veritate compellimur:ita tres Deos aut Dominos dicere,
catholica religione prohibemur.
Pater
a nullo est factus, nec creatus, nec genitus.
Filius
a Patre solo est: non factus, nec creatus, sed genitus.
Spiritus
sanctus a Patre et Filio: non factus, nec creatus, nec genitus,
sed procedens.
Unus
ergo Pater, non tres Patres: unus Filius, non tres Filii: unus
Spiritus sanctus, non tres Spiritus sancti.
Et
in hac Trinitate nihil prius aut posterius, nihil majus aut minus;
sed totae tres persones coaeternae sibi sunt,et coaequales.
Ita
ut per omnia, sicut jam supra dictum est, et unitas in Trinitate,
et Trinitas in unitate veneranda sit.
Qui
vult ergo salvus esse, ita de Trinitate sentiat.
Etc.
|
Quiconque
veut être sauvé, avant toute chose il importe qu’il s’en
tienne à la foi catholique.
Que
l’on doit conserver intégrale,inviolée,sans hésitation, sous
peine de périr pour l’éternité.
La
foi catholique,c’est que nous vénérons Dieu unique dans la
Trinité,et la Trinité dans l’unité.
Nous
ne confondons pas les personnes et nous ne séparons pas les
substances. Autre
est la personne du Père, autre celle du Fils,et autre celle du
Saint-Esprit.
Mais
une est la divinité du Père,du Fils et du Saint- Esprit, égale
est leur gloire,coéternelle leur majesté Tel Père, tel Fils,
tel Saint-Esprit. Le
Père
est incréé,le Fils
est incréé,le
Saint-Esprit
est incréé.
Le
Père est immense, le Fils est immense, le Saint-Esprit est
immense.
Le
Père est éternel,le
Fils est
éternel,le Saint-Esprit est éternel.Mais non pas trois
éternels; c’est un seul éternel.
De
même non pas trois incréés, ni trois immenses, mais un seul
incréé, et un seul immense.
De
même le Père est tout-puissant, le Fils est tout-puissant, le
Saint-Esprit est tout-puissant. Et cependant non pas trois
tout-puissants, mais un seul tout-puissant.
Ainsi
le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu.
Mais non pas trois Dieux: c’est un seul Dieu. Ainsi le Père
est Seigneur, le Fils est Seigneur, le Saint-Esprit est Seigneur.
Mais
non pas trois Seigneurs: c’est un seul Seigneur.
Car,de
même que la vérité chrétienne nous oblige à confesser que
chacune des personnes est Dieu et Seigneur,la religion catholique
nous interdit de dire qu’il y ait ainsi trois Dieux et trois
Seigneurs.
Le
Père n’a été fait par personne, ni créé, ni engendré.
Le
Fils vient du Père seul; ni fait, ni créé, mais engendré par
lui. Le
Saint-Esprit vient du Père et du Fils; ni fait ni créé, ni
engendré, mais procédant d’eux.
Il
n’y a donc pas trois Pères, mais un seul; ni trois Fils, mais
un seul, ni trois Saint-Esprits, mais un seul.
Et
dans cette Trinité rien ne vient avant ou après; ni au-dessus ou
dessous. Les trois personnes sont égales et coéternelles. Ainsi,
que toujours l’unité divine soit vénérée dans la Trinité
des personnes et la Trinité dans l’Unité. Celui qui veut être
sauvé, c’est ainsi qu’il doit ressentir la Trinité. Etc.
|
Ce texte remonte au VII° siècle, sans doute un peu au-delà. Il marque l'aboutissement d'une controverse commencée au III° siècle, avec pour protagonistes l'évêque Athanase d'Alexandrie et le moine Arius. Elle est tranchée par l'autorité impériale en 325, Constantin étant devenu en fait le chef de l'Eglise Chrétienne,qui officialise le Symbole de Nicée, toujours en usage dans les différentes Eglises Chrétiennes. Après des péripéties au cours du IV° siècle, les Ariens opposés au nouveau dogme trinitaire seront définitivement exclus et persécutés à partir de 381 sous l'empereur Théodose. Mais des hérésies naissent à propos de l'interprétation exacte du Symbole de Nicée, en sorte que des précisions furent jugées nécessaires. En tout cas, nous verrons que Calvin fut traité d'Arien pour avoir voulu délaisser le Symbole d'Athanase,et qu'il s'inclina. La discussion était close, et Michel Servet périt, d'avoir osé la rouvrir. Nous y reviendrons.
x
Les Ariens étaient-ils vraiment "antitrinitaires" ? Certains le furent sans doute.
Il ne faut pas chercher dans l'Histoire ecclésiastique plus d'équité que dans une campagne électorale victorieuse. On a cependant un document parfaitement objectif, un débat public entre saint Augustin et l'évêque arien Maximin, ou Maximinus, tenu à Hippone en 427, avec des sécrétaires qui ont dressé le procès-verbal du débat "sténographié" au cours des séances et contresigné par les protagonistes.
Comment avait-ce été possible ? C'est qu'il y avait une exception dans les lois répressives de Théodose. En 410, Rome avait été prise et saccagée par les Vandales d'Alaric, ariens. Humiliée. Après la guerre, Augustin eut à confesser nombre de nobles dames romaines qui avaient subi, de la part des beaux scandinaves, les pires outrages, où la confession sincère de leur péché les contraignait à dire qu'elles y avaient trouvé du plaisir. Et nous avons les lettres consolantes d'Augustin. C'est dire que l'Empire romain n'est plus aussi puissant qu'autrefois. Ses armées sont formées de mercenaires étrangers, notamment scandinaves, chrétiens ariens.
Comment cela ? Eh bien, trente ans plus tôt, à Constantinople, le Goth Ulfilas (wulfila, le petit loup) devenu militaire s'était converti, arien, et même évêque, puis était reparti "évangéliser" son hérésie en Suède. Une des méthodes les plus dangereuses des Ariens était de multiplier les études bibliques. Ils étaient ainsi très forts pour lancer leurs versets à la face des prédicateurs bons catholiques.
D'où l'importance du principe suivant formulé par saint Augustin:
Omnia quae leguntur de Scripturis Sanctis ad instructionem et salutem nostram intente oportet audire. Maxime tamen memoriae commendanda sunt, quae adversus haereticos valent plurimum. (Tout ce qu'on lit dans les Ecritures saintes pour notre instruction et salut, on doit l'écouter avec attention. Il faut cependant tenir en mémoire surtout ce qui peut le mieux servir contre les hérétiques.Ep. in Io. Ep.X, 2,1)
Les Ariens étaient-ils vraiment "antitrinitaires" ? Certains le furent sans doute.
Il ne faut pas chercher dans l'Histoire ecclésiastique plus d'équité que dans une campagne électorale victorieuse. On a cependant un document parfaitement objectif, un débat public entre saint Augustin et l'évêque arien Maximin, ou Maximinus, tenu à Hippone en 427, avec des sécrétaires qui ont dressé le procès-verbal du débat "sténographié" au cours des séances et contresigné par les protagonistes.
Comment avait-ce été possible ? C'est qu'il y avait une exception dans les lois répressives de Théodose. En 410, Rome avait été prise et saccagée par les Vandales d'Alaric, ariens. Humiliée. Après la guerre, Augustin eut à confesser nombre de nobles dames romaines qui avaient subi, de la part des beaux scandinaves, les pires outrages, où la confession sincère de leur péché les contraignait à dire qu'elles y avaient trouvé du plaisir. Et nous avons les lettres consolantes d'Augustin. C'est dire que l'Empire romain n'est plus aussi puissant qu'autrefois. Ses armées sont formées de mercenaires étrangers, notamment scandinaves, chrétiens ariens.
Comment cela ? Eh bien, trente ans plus tôt, à Constantinople, le Goth Ulfilas (wulfila, le petit loup) devenu militaire s'était converti, arien, et même évêque, puis était reparti "évangéliser" son hérésie en Suède. Une des méthodes les plus dangereuses des Ariens était de multiplier les études bibliques. Ils étaient ainsi très forts pour lancer leurs versets à la face des prédicateurs bons catholiques.
D'où l'importance du principe suivant formulé par saint Augustin:
Omnia quae leguntur de Scripturis Sanctis ad instructionem et salutem nostram intente oportet audire. Maxime tamen memoriae commendanda sunt, quae adversus haereticos valent plurimum. (Tout ce qu'on lit dans les Ecritures saintes pour notre instruction et salut, on doit l'écouter avec attention. Il faut cependant tenir en mémoire surtout ce qui peut le mieux servir contre les hérétiques.Ep. in Io. Ep.X, 2,1)
On va voir que la mémoire biblique de Maximin était prodigieuse.
Le gouverneur d'Afrique du Nord,
Boniface, étant entré en rébellion contre l'empereur, avec à la
clé le ravitaillement de Rome en blé, l'empereur envoie en
médiateur l'aumônier général des Goths Maximin, évêque arien
(toujours l'exception). Pour saint Augustin,
c'était l'occasion de l'embarrasser. Car l'arianisme est interdit.
Or Maximin accepte, malgré le danger à cause des lois de l'Empire:
Car, dit-il:
La
confession de bouche est nécessaire au salut (Rom.10,10);
car nous
sommes disposés à répondre à quiconque nous demande raison de
notre foi et de notre espérance (1 Pierre 3,15); puisque
le Seigneur
Jésus
dit
lui-même: Celui
qui me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai
devant mon Père qui est dans les cieux; et celui qui m'aura renié
devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est
dans les cieux (Mat.
10,32). Craignant,
dis-je, ce péril, quoique je n'ignore pas les lois de l'empire, mais
instruit en même temps de la loi du Sauveur qui dous a donné cet
avertissement: Ne
craignez point, dit-il, ceux qui tuent le corps,
mais qui ne
peuvent tuer l'âme (Mat.10,28);
par
tous ces motifs, je réponds en termes clairs et positifs.
Confession de foi arienne de l'évêque Maximin:
Je crois qu'il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, lequel n'a
reçu la vie de personne. Je crois qu'il n'y a qu'un seul Fils, lequel a reçu du Père son existence, sa nature et sa vie; Je crois qu'il n'y a qu'un seul Saint-Esprit paraclet, lequel illumine et sanctifie nos âmes. Et j'affirme cela d'après les divines Ecritures. |
J'ai
montré
bien
des fois cette confession arienne à des amis,
évidemment
non familiers de l'escrime dogmatique; aucun n'a
trouvé
l'hérésie.
Si
on
demande à un professionnel de définir le dogme trinitaire, invoqué
dans toutes les formulations actuelles de l'oecuménisme,
personne
n'ose plus invoquer sa définition officielle,
donnée
dans le Symbole d'Athanase, le Quicumque.
Les éléments de ce symbole se retrouvent dans les discours
d'Augustin dans sa dispute avec Maximin. Le problème entre eux,
contrairement à une idée répandue sur les Ariens et qui s'avère
ici être une calomnie, ne concerne pas directement la divinité de
Jésus-Christ. Entre parenthèses, ne mélangeons pas nos façons de
poser le problème avec celles du IV°
ou
du XVI°
siècle.
Les
Ariens du IV°
siècle,
et
plus tard les
"antitrinitaires"
du
XVI°,
affirment
bel et bien la divinité du Christ,
contrairement
à la légende officielle.
Le
vrai problème, depuis le IV°, c'est l'égalité du Père et du
Fils.
Pour
l'orthodoxie, c'est une question de logique. Puisque, d'après Deutéronome
6,4, Le
Seigneur ton Dieu est un Dieu unique,
il
y a identité de nature divine entre Dieu et Christ, définie avec
précision par le Symbole d'Athanase.
Une
illustration de cette vision se voit dans des représentations de
Dieu dans l'Ancien Testament, quand il parle à Moïse ou Abraham: on
le voit avec le nimbe portant la Croix,
par
exemple dans les fresques de Saint-Savin (XII°s.):
Autrement
dit, c'est déjà le Christ.
Pour
l'évêque arien,
l'argumentation
est purement scripturaire.
Puisqu'on
trouve dans l'Ecriture des textes permettant de dire que Christ est
Dieu, il est Dieu et même "grand" Dieu. Mais quand Jésus
parle de Dieu, c'est de Dieu le Père qu'il s'agit,
plus
grand que lui-même le Christ.
Quant
à la déduction logique d'Augustin, elle n'a pas de poids contre
l'évidence des textes.
On
comprendra mieux le problème avec un peu d'histoire de la pensée.
Pour les Grecs anciens, la déduction logique existe bien, et elle
est dans la Logique d'Aristote, mais elle ne vaut pas l'évidence
directe en tant que preuve de vérité. C'est pourquoi il leur faut
une représentation géométrique pour illustrer un théorème
d'algèbre. Même échelle de valeur, qui se traduit dans le
vocabulaire, en latin. Avec cette explication, nous pouvons dire que
les deux adversaires 3
ont la même base, qui est l'Ecriture;
Augustin
en
balaye
les
affirmations
contradictoires
au bénéfice d'une dogmatique logiquement cohérente. Maximin met en
évidence que cette cohérence est artificielle, par la profusion de
ses citations scripturaires. Sa cohérence à lui, c'est l'unité
morale du Père et du Fils, qui ne signifie pas unité de nature,
tant qu'un texte ne le précisera pas. Il est insaisissable, et
Augustin publiera plusieurs traités contre lui – preuve de son
embarras.
Maximin a même visiblement
marqué un point.
Augustin
(XIV)... Pourquoi (Christ) est-il le vrai Dieu ? Parce qu'il est le
vrai Fils de Dieu. En effet, il a été donné aux animaux
d'engendrer exclusivement des êtres semblables à eux-mêmes; et
tandis qu'un homme engendre un homme, qu'un chien engendre un chien,
Dieu n'engendrerait pas un Dieu ?
Augustin
a parlé trop vite. La volée de retour ne se fera pas attendre:
Maximin
(XX)
Quand
il s'agit de Dieu,
on
ne doit employer que des comparaisons dignes.
Ce
qui me déplaît,
ce
qui m'a causé une douleur profonde, c'est de vous avoir entendu dire
qu'un homme engendre un homme, et qu'un chien engendre un chien: une
comparaison si ignoble ne devait pas être employée à l'égard
d'une si haute majesté...
X
Le Fil d'Arius va désormais se diviser en deux
torons, à l'Occident et en Orient.
En Occident, suivons les Scandinaves, les Wisigoths dans
le Sud-Ouest de la Gaule et en Espagne, et les Vandales en Espagne du
Sud, la "Wandalousie", et l'Afrique du Nord. Il y eut
d'autres implantations; mais le Catholicisme finira par triompher.
En Orient, la destinée arienne aura plus d'avenir, avec
l'Islam.
II
L'Islam
Les
recherches récentes sur les origines de l'Islam s'orientent vers une
résurgence de l'arianisme,
dont
il ne se distingue vraiment qu'à partir du IX°siècle.
De l'Islam, la culture français de base connaît trois dates ou
personnages:
1. Mahomet a fondé l'Islam avec l'Hégire en 622 et
enseigné le Coran.
2.
Charles Martel a battu les Arabes à Poitiers en 732.
3. Charlemagne, couronné empereur à Noël en l'an 800, correspondait avec le Calife Haroun ar-Rachid.
3. Charlemagne, couronné empereur à Noël en l'an 800, correspondait avec le Calife Haroun ar-Rachid.
Si
maigre soit-il,
ce
squelette d'Histoire dit déjà pas mal de choses. On peut lui donner
chair et couleurs.
1. Toute cette histoire est à revoir de fond en comble. On a contesté jusqu'à l'existence du Prophète Mahomet, ou Mohammed. Il en résulte deux problèmes. D'abord cette mise en cause scandalise les Musulmans, et chacun sait que cela ne va parfois pas sans danger. Le seul moyen, à mon sens de tenter la chose dans l'esprit qu'il faut, c'est de se rappeler le scandale intérieur à notre propre Eglise protestante de France au XIX° siècle, quand on mettait en cause l'Histoire évangélique, et les disputes féroces entre les "Orthodoxes" et les "Libéraux". Avec ce rappel, on éprouvera quelque modestie, peut-être de la sympathie envers les Musulmans indignés. Il est plus facile de détruire un système que de reconstruire ensuite une Histoire sur laquelle des Croyants non savants, mais sincères et honnêtes dans leur foi en Dieu, ont construit le sens de leur vie, avec le désir de faire ce qui est juste et bon. Je ne puis que dire ici ma synthèse personnelle et sans doute provisoire.
Le
Prophète Mohammed a bien existé, avec le nom que nous lui
connaissons. Mais, s'il n'est pas tout à fait inconnu chez les
auteurs chrétiens de l'époque, ce n'est pas comme prophète,
mais
comme marchand. De toute façon, ce qu'on sait de la vie locale est
de la plus extrême modestie. Son épouse préférée Aïcha
racontera plus tard comment, pour faire ses besoins naturels, elle
s'écartait du village le soir, et que sinon les maisons empestaient.
Or
sa famille était l'une des plus riches de la tribu.
Mohammed
ayant commencé à prendre de l'importance, son gendre Omar déplore
l'indigence de son logement, un mobilier réduit à quelques tapis de
feuilles de palmier, avec des coussins. Rien à voir avec les rois de
Perse.
Néammoins l'ascension prodigieuse de l'Islam sur la
scène politique internationale est un fait avéré.
X
La "Mosquée
d'Omar", ou "Coupole du Rocher", sur l'Esplanade des
mosquées à Jérusalem, est un monument superbe et daté en 692,
avec une inscription de 240 mètres de long en arabe à l'intérieur.
Tout le monde vous dit que ce sont des citations du Coran. Il vaut la
peine d'y voir de plus près. (Pour les détails,v.Inarah Inst., dans K.-H. Ohlig & G.Puin: The hidden origins of Islam, pp 125-152: Chr. Luxenberg:A new interpretation in Jerusalem's Dome of the Rock.)
5. Coran 19,33-36. A gauche le texte du Coran, à droite le texte de l'inscription de la Mosquée.
3. Il s'est joué une partie politique et religieuse importante dans l'empire arabe à la fin du VIII° siècle. Les Chrétiens y ont tenu un rôle très important. Bien sûr, je simplifie. Comme il est naturel, des tensions internes ont accompagné la montée en puissance des Arabes et leurs victoires sur les Romains catholiques puis sur les Perses zoroastriens. Assassinats et guerres civiles, qui durent encore aujourd'hui. Le parti sunnite a son origine dans la dynastie Umayade, capitales Damas et Jérusalem. Ce sont en majorité les Arabes des tribus du nord, Syrie, d'origine chrétienne arienne. Ils parlent un arabe qui n'est pas écrit, ou bien l'araméen et le grec, langue de l'empire romain oriental.(On a retrouvé à la Mosquée st Jean Baptiste de Damas un texte biblique en arabe, en caractères grecs.) Ce sont les plus riches et les plus civilisés, ce seront donc les plus forts au premier siècle de l'Islam. Le parti shiite a son origine dans le clan hachémite, celui du Prophète Mohammed. C'est lui qui détient les traditions anciennes de la religion et en particulier celle de la pure langue arabe revendiquée dans le Coran par le Prophète. Elle est écrite, mais exprime des sons qui n'existent pas dans les autres langues sémitiques. Le travail commun de mise par écrit prendra du temps et ne s'achèvera pas avant le IX° siècle, avec la victoire du parti hachémite, à Bagdad pour capitale.
Arrivés à ce point de notre itinéraire suivant le "fil arien", nous voyons l'importance de ce débat entre Augustin et Maximin, à armes égales grâce au débat de 427, qui va se poursuivre à travers les siècles. Et de même, grâce à la publication de la Restitutio, le débat entre Calvin et Servet nous apparaît dans sa vraie dimension qui est celle de deux livres comparables, l'Institutio et la Restitutio. Servet n'est pas seulement un martyr, ni même seulement un résistant. C'est un grand penseur qui n'a sans doute pas raison en tout, mais à la mesure de son adversaire. Il ne s'agit pas de prendre son parti, ni celui des Ariens auparavant, ni même celui de l'Islam, au moins pour l'historien. Mais, à considérer le grand débat initial, celui fixé par le Symbole d'Athanase, le jugement de l'Histoire est clair: c'est Athanase qui a le plus vieilli. Le labyrinthe construit autour n'étouffera jamais les efforts de croyants honnêtes pour en libérer leur Eglise.
IV PAUSE
5. Coran 19,33-36. A gauche le texte du Coran, à droite le texte de l'inscription de la Mosquée.
(.Marie)montra
l'enfant au berceau...qui dit:...Dieu a exigé de moi la piété
envers ma mère,34: la paix soit
sur moi
le jour de ma naissance, le jour de ma
mort, le jour de ma
résurrection. Tel est Jésus fils de Marie, parole de vérité
sur qui ils se disputent. Il n'est pas de Dieu, de prendre un
fils. Loué soit-il.S'il décide une chose, il dit: qu'elle soit
et elle est. Certes, Dieu est mon maître et le vôtre. Servez-le,
c'est la voie droite.
|
(O
Dieu,bénis ton envoyé,ton serviteur Jésus fils de Marie), paix
sur lui le jour de sa naissance,le
jour de sa mort,le jour de sa
résurrection.Tel est Jésus fils de Marie,parole de vérité,sur
qui vous vous disputez.Il n'est pas de Dieu,de prendre un fils.
Loué soit-il.S'il décide une chose,il dit:qu'elle soit et elle
est. Certes Dieu est mon maître et le vôtre.Servez-le,c'est la
voie droite.
|
La
correspondance mot à mot exclut tout hasard. La seule différence porte sur le sujet. Dans l'inscription,
c'est
une bénédiction sur Jésus. Dans le Coran, c'est le bébé qui
parle. Quel est l'original? Personne de sensé ne peut prétendre que
ce soit le Coran. C'est le Coran qui a utilisé un texte liturgique
chrétien. En 692, la Mosquée récemment inaugurée est encore une
église chrétienne.
La considération des autres citations de l'inscription conduit à
d'autres conséquences très importantes. La plus grave est
celle-ci : Mohammed est un mot arabe signifiant : Qu'il
soit loué.
Il est hautement probable qu'à l'origine, la Confession de Foi de
l'Islam fut une confession chrétienne arienne :
Il n'y
a de Dieu que Dieu ; qu'il
soit loué l'Envoyé de Dieu (Jésus!)
C'est
une
confession de foi antitrinitaire.
Un
certain nombre d'érudits doutent même qu'avant le IX°siècle
Mohammed ait pu désigner un personnage défini.
(A mon avis c'est là une erreur. Les synopses du Hadith me
paraissent à cet égard décisives. Cet ensemble de traditions,
de
valeur très inégale,
permet
d'asseoir un fond historique solide sur la période très pauvre du
désert. En particulier le nom du personnage était sûrement
Mohammed.)
C'est
toujours, selon eux, un titre de fonction; et ils ont sûrement
raison pour des monnaies arabes du VII° siècle portant sur une face
la croix chrétienne et sur l'autre face l'inscription en arabe
Mohammed,
l'envoyé de Dieu.
Dans ces conditions, le problème sera de trouver à quel moment le
Prophète Mahomet, ou bien ses disciples, auront utilisé la double
signification de son nom pour en faire la Confession de Foi de
l'Islam. Il
est en tout cas certain que le Prophète fut influencé par
l'arianisme, et cela lui fut reproché par d'autres Chrétiens.
Les
conséquences
de
ces faits pour comprendre la nature du Coran ne seront pas moins
graves.
2.
Poitiers, 732. En 632, Mohammed meurt à Médine. En 100 ans,
conquête définitive de tout le Moyen-Orient hérétique et de
l'Afrique du Nord, du sud de l'Espagne pour plusieurs siècles de
brillante civilisation.
Comment
cela? De même qu'en Palestine et en Syrie, les envahisseurs arabes
ont été souvent bien reçus par des populations marquées autrefois
par l'arianisme, Vandales et Visigoths; cela, joint à des talents
militaires évidents, explique en partie la rapidité de la conquête.
3. Il s'est joué une partie politique et religieuse importante dans l'empire arabe à la fin du VIII° siècle. Les Chrétiens y ont tenu un rôle très important. Bien sûr, je simplifie. Comme il est naturel, des tensions internes ont accompagné la montée en puissance des Arabes et leurs victoires sur les Romains catholiques puis sur les Perses zoroastriens. Assassinats et guerres civiles, qui durent encore aujourd'hui. Le parti sunnite a son origine dans la dynastie Umayade, capitales Damas et Jérusalem. Ce sont en majorité les Arabes des tribus du nord, Syrie, d'origine chrétienne arienne. Ils parlent un arabe qui n'est pas écrit, ou bien l'araméen et le grec, langue de l'empire romain oriental.(On a retrouvé à la Mosquée st Jean Baptiste de Damas un texte biblique en arabe, en caractères grecs.) Ce sont les plus riches et les plus civilisés, ce seront donc les plus forts au premier siècle de l'Islam. Le parti shiite a son origine dans le clan hachémite, celui du Prophète Mohammed. C'est lui qui détient les traditions anciennes de la religion et en particulier celle de la pure langue arabe revendiquée dans le Coran par le Prophète. Elle est écrite, mais exprime des sons qui n'existent pas dans les autres langues sémitiques. Le travail commun de mise par écrit prendra du temps et ne s'achèvera pas avant le IX° siècle, avec la victoire du parti hachémite, à Bagdad pour capitale.
Ce parti bénéficiera d'une complicité chrétienne
décisive, celle du parti nestorien, avec en particulier son chef, le
patriarche Timothée Ier (727-823), grand homme politique et
théologien subtil. Il sut établir des relations de fructueuse
coopération avec le pouvoir impérial arabe, sur tous les plans.
Relations avec l'Extrême-Orient, missions chrétiennes et musulmanes
jusqu'en Chine, commerciales avec la Route de la Soie et théologiques
pour les deux. Les Nestoriens étaient trinitaires, ennemis des
Ariens. Mais la véritable Trinité, poue eux, ne s'établissait qu'à
la Résurrection du Christ. Par rapport aux Catholiques, ils
refusaient que le Nouveau-né de la Crèche fût déjà le Christ
égal à Dieu le Père. Ce qui permettait une certaine conciliation
avec l'Islam.
C'est ainsi que la version arabe d'une légende
nestorienne également attestée dans la tradition musulmane dit que
Mohammed, encore jeune, aurait été initié à la vraie religion par
le moine chrétien Bahira. Cette légende évoque la crucifixion de
Jésus-Christ dans des termes identiques à ceux du Coran: la
crucifixion n'avait été qu'une apparence. Bien sûr, Jésus ne
deviendra Christ qu'à la Résurrection, trois jours après, selon le
discours de saint Pierre à Jérusalem (Actes 2,36). Et la même
légende reproche à Mohammed,
devenu grand, d'avoir
gardé des sympathies ariennes.
Evidemment, avec le Calife hachémite voulant se débarrasser
de la dynastie arienne de Damas, ce reproche-là pouvait être
accepté.
On a
de bonnes raisons de penser que l'Islam tolérant, tel qu'il
se présente aujourd'hui en Europe, a été formé définitivement
dans ce contexte, et que le Christianisme oriental, aussi bien
nestorien qu'arien, s'y est majoritairement dissous. Sous sa forme
définitive, le Coran date de cette période.
III
La Réforme, et Michel Servet.
Les siècles qui suivent sont des siècles d'ignorance
mutuelle jusqu'à la Réforme. Il aurait pu en aller différemment
autour du XII° siècle avec le rayonnement de Cordoue, les missions
de saint François d'Assise, et des contacts pacifiques ayant
traversé les chocs des Croisades. Mais, pour créer une réelle
interférence,
il faut des contacts où les deux parties trouvent
réellement leur intérêt. Ce
fut le cas au XVI° siècle. La politique, évidemment. A l'ouest, la
France encadrée par l'empire de Charles Quint sur l'espace
germanique, et
l'Espagne. A
l'est l'empire
de Charles
Quint encadré
par la
France et
l'empire
ottoman. A
l'est encore l'empire ottoman encadré par Charles Quint et l'empire
perse. Ce fut le triomphe de la diplomatie à grande échelle, dont
il ne faut pas sous-estimer l'importance au plan religieux :
La Confession d'Augsbourg en 1530, avec la liberté religieuse aux
princes luthériens, dut son existence au besoin qu'avait Charles
Quint de leur participation à la guerre contre les Turcs. La Réforme
en Hongrie doit à ceux-ci sa survie, mais aussi ses frontières, car
il y avait l'empire perse de l'autre côté. Quant à la France, elle
reçut de cette alliance avec l'Empire ottoman contre Charles Quint
le monopole de la représentation des intérêts catholiques au Moyen
Orient, et donc ses droits d'intervenir à Jérusalem, toujours
agissants dans notre France « laïque » des siècles
présents. Il ne faut donc pas sous-estimer la politique.
Cependant, la politique n'est que l'actualité
d'enjeux plus profonds et permanents: Celui créé par Constantin, où
l'Eglise a trouvé dans le dogme trinitaire, élevé au rang d'une
loi fondamentale de l'Etat, le moyen d'asseoir son système de
pouvoir. L'un et l'autre vont être mis en cause avec l'aventure de
Michel Servet. Là réapparaît, en pleine lumière, le fil d'Arius.
On trouve une information abondante sur Servet dans la
Correspondance Unitarienne et la Besace des Unitariens.
Il convient de signaler aussi, et pour toute la suite de l'Histoire,
The Radical Reformation, de George H. Williams, et bien
entendu la récente édition complète des œuvres de Servet en
Espagne, sous la direction d'Angel Alcala (Sarragosse, 2005). Et
enfin, en 2011, l'édition bilingue de la Restitution du
Christianisme par Rolande-Michelle Bénin (Paris,
Champion). On peut
considérer qu'un tel ensemble fait face
à toute
la publication qui a pu accompagner le cinquième centenaire
de Calvin, en 2009.
Pour l'équité historiographique, on devrait souhaiter aussi
une réédition du Sébastien Castellion de Ferdinand Buisson
(Paris 1892). Mais l'édition de la Restitutio par Mme Bénin
nous permettra de simplifier le face-à-face.
Car les deux protagonistes sont bien représentés par
leurs deux grands livres. Servet s'adressait nommément à Calvin.
Quant à ce dernier, l'édition 1559 de l'Institutio est
truffée d'attaques nommément contre Servet supplicié en 1553:
Or, de nostre temps même, il s'est
eslevé un monstre, qui n'est point moins pernicieux que ces
hérétiques anciens, asçavoir Michel Servet, lequel a voulu
supposer au lieu du Fils de Dieu je ne sçay quel
fantosme...(II,XIV,5)
Servet jugeait blasphématoire la vision trinitaire de
Calvin. C'était sans
doute un argument ad hominem, car les deux hommes se
connaissaient depuis longtemps, et Calvin ne s'était soumis au
Symbole d'Athanase en 1537 qu'en face de Caroli, celui-ci l'accusant
alors d'être arien. Il fallait céder, et même donner des preuves
de sincérité. Le supplice de Servet fut la principale de ces
preuves, encore que non décisive pour tout le monde, et ce supplice
fut approuvé par tous les principaux Réformateurs.
Le débat ainsi rouvert, sinon sans risque, du moins
sans celui d'un bûcher de bois mouillé, nous permet d'apprécier ce
qui fait pour nous l'essentiel de la foi chrétienne, à savoir la
fidélité à l'Ecriture Sainte. Comment l'un et l'autre protagoniste
utilise-t-il les textes de la Bible ? Nous remarquerons la
citation de Job 19,25
donnée par Calvin, II,X,
Je sçay, dit Job, que mon Rédempteur
vit, et qu'au dernier jour JE ressusciteray de la terre et verray mon
Rédempteur en ce corps : ceste espérance est cachée en mon
sein.
Autrement dit Calvin, qui a préfacé la Bible
d'Olivétan en 1535, cite toujours la Bible avec le contresens de la
Vulgate latine. Le texte hébreu dit: IL se dressera
(mon Rédempteur). Olivétan traduisait en effet avec le
demi-contresens de Luther :Je sçay bien que mon
rédempteur vit et qu'IL ME ressuscitera sur la terre au dernier
jour. Et combien que les vers ayent rongé ceste chair après ma
peau, toutesfoys je verray Dieu en ma chair.
Bien sûr, le pronom complément ME est de trop. Il
sera supprimé dans des Bibles protestantes futures, comme Ostervald
en 1724. Nous avons là un bon exemple de la vérité... en marche.
Quant à Servet, il traite évidemment de la
Résurrection, mais ne cite pas Job. Il en donne en fait une
interprétation très proche de saint Paul :
Celui qui ne reconnaît pas que le Christ vit en
lui, n'a pas été régénéré. Celui qui reconnaît en lui-même le
Christ, prend conscience qu'il est ressuscité et que lui-même doit
ressusciter à son exemple(...) Grande est la force de la
résurrection du Christ, si grande qu'en la reconnaissant, on
reconnaît aussi la nôtre de façon évidente, on la goûte et on en
fait l'expérience dans l'homme intérieur . (548-49 ; p.1284)
Le lecteur n'a pas manqué de remarquer cette référence
de Servet
à l'expérience
personnelle. C'est en fait
un esprit moderne. Et puisque sa gloire scientifique est d'avoir
découvert la double circulation du sang dans les poumons, il vaut la
peine de voir comment il la situe dans sa vision du Saint-Esprit et
la Trinité :
Il est écrit que l'âme
est dans le sang, et que l'âme
elle-même est le sang, ou l'esprit sanguin. Il est écrit non pas
que l'âme est principalement dans les parois du cœur, ou dans le
corps même du cerveau, ou du foie, mais dans le sang, comme
l'enseigne Dieu lui-même en Genèse 9,4, Lévitique 17, 11,14, et
Deutéronome 12,23.
Mais concernant cette question, il faut d'abord
comprendre la génération substantielle de l'esprit vital lui-même,
qui se compose et se nourrit de l'air inspiré et du sang le plus
subtil. L'esprit vital a son origine dans le ventricule gauche du
cœur, et ce sont principalement les poumons qui aident à sa
génération. C'est un esprit ténu, élaboré par la force de la
chaleur, de couleur rouge, de puissance ignée, de sorte qu'il est
comme une vapeur lumineuse issue du sang le plus pur, contenant en
lui la substance de l'eau, de l'air et du feu. Il est généré à
partir du mélange qui se fait dans les poumons de l'air inspiré
avec le sang subtil élaboré, que le ventricule droit du cœur
communique au gauche.
Or cette communication se fait non
pas par la paroi médiane du cœur, comme on le croit vulgairement,
mais par un important processus, le sang subtil est mis en mouvement
depuis le ventricule droit, avec un long circuit à travers les
poumons. Il est préparé par les poumons, devient rouge, et il est
transvasé de la veine artérielle à l'artère veineuse. Puis il se
mêle, précisément dans l'artère veineuse, à l'air inspiré, et
il est purifié de sa couleur sombre par l'expiration. Et c'est ainsi
qu'enfin la totalité du mélange est entraînée depuis le
ventricule gauche au moyen de la diastole. Ce sont là les
instruments appropriés qui permettent la production de l'esprit
vital. (170. p.476)
Servet eut conscience de l'innovation scientifique. Le
lecteur médecin cherchera peut-être à l'analyser davantage, même
si sa vision morale ou religieuse de sa vocation médicale ne suit
pas les mêmes sentiers. Après tout, quand Alexander Fleming
découvrit les propriétés du Penicillium sur une branche
d'hysope, son âme d'Ecossais lui rappela le psaume 51 :
Purifie-moi avec l'hysope, et je serai purifié...
L'essentiel, qui n'est pas encore exprimé,
est que la Théologie n'est plus une discipline autonome. Ses
idées, ses préjugés, se glissent partout, et les hasards de
l'expérience les rendent parfois performants, sans en démontrer
pour autant la vérité propre. Et réciproquement les résultats des
autres disciplines influent sur la Théologie, et même les
théologies adverses, et aussi bien juive et arabe par exemple.
Pour interpréter la célèbre prophétie d'Esaïe 7,
La jeune fille deviendra enceinte et enfantera un fils, et elle
lui donnera le nom d'Emmanuel, Servet se rallie au sens admis par
l'exégèse juive: il
s'agit de la naissance du futur roi Ezéchias. (70; p.254). Après
quoi il en souligne l'évocation dans l'Evangile comme modèle
messianique. Du même ordre est son ouverture à l'Islam, qui va
explicitement contribuer à sa condamnation et son exécution
particulièrement cruelle (au bois mouillé) : Quelle misère
que nous soyons coupés d'eux (des Juifs et des Musulmans, par ce
dogme trinitaire;35, p.174). Et pourtant, comme la théologie de
l'évêque arien Maximin, celle de Servet est incontestablement de
forme trinitaire. C'est une forme de la piété, qui définit pour
lui la foi chrétienne. Malgré
un impressionnant déploiement d'érudition, le système de Servet
reste davantage un plaidoyer, ou un témoignage, qu'un enseignement :
Considère, lecteur, avec quelle
efficacité, avec quelle ardeur Jean a dit : Quiconque aura cru
que Jésus est le fils de Dieu
demeure
en
Dieu
et
Dieu
en
lui...
Ecoute
le Christ lui-même,
qui enseigne toujours que c'est l'oeuvre
de Dieu et que la vie éternelle est déjà présente si nous croyons
qu'il est le fils de Dieu... C'est là pour moi un fondement
perpétuel. Le Christ est pour moi l'unique évangéliste ...(290,
p.726)
Autrement dit, par son ouverture et sa subjectivité,
ce n'est pas une théologie figée dans le temps. On passera sur des
développements devenus difficilement compréhensibles aujourd'hui,
et cependant le témoignage scellé par le martyre garde présence et
pouvoir d'émotion. Nous ne dirons rien des fautes nombreuses,
notamment sur les citations de l'hébreu. Mme Bénin relève (p.397)
que bien des erreurs sont imputables à l'imprimeur, Servet n'ayant
pas eu la possibilité, le temps, de corriger les épreuves de son
livre.Une erreur n'est cependant,
à coup
sûr, pas
involontaire, dans
la page
de titre,
reproduite par l'éditeur :
(hébreu, Daniel 12,1) :
En ce temps-là se leva MICHEL SER...
Le texte hébreu porte SAR.
( grec, Apocalypse 12,7) …Et il y eut un grand
combat dans le ciel (Michel
et ses anges combattirent le dragon)
Sar désigne le Chef ; c'est le titre
actuel des Ministres israéliens. C'est Servet qui a écrit Ser,
et il suffirait de continuer, en hébreu au lieu du grec, par
vé, et, pour avoir son nom complet !
xArrivés à ce point de notre itinéraire suivant le "fil arien", nous voyons l'importance de ce débat entre Augustin et Maximin, à armes égales grâce au débat de 427, qui va se poursuivre à travers les siècles. Et de même, grâce à la publication de la Restitutio, le débat entre Calvin et Servet nous apparaît dans sa vraie dimension qui est celle de deux livres comparables, l'Institutio et la Restitutio. Servet n'est pas seulement un martyr, ni même seulement un résistant. C'est un grand penseur qui n'a sans doute pas raison en tout, mais à la mesure de son adversaire. Il ne s'agit pas de prendre son parti, ni celui des Ariens auparavant, ni même celui de l'Islam, au moins pour l'historien. Mais, à considérer le grand débat initial, celui fixé par le Symbole d'Athanase, le jugement de l'Histoire est clair: c'est Athanase qui a le plus vieilli. Le labyrinthe construit autour n'étouffera jamais les efforts de croyants honnêtes pour en libérer leur Eglise.
IV PAUSE
Notre section consacrée à Michel Servet constitue en
quelque sorte la réouverture d'un débat que l'on croyait à peu
près clos. Il l'est en Occident. Les aventures d'un Servet, d'un
Castellion, peuvent susciter l'émotion ou inspirer quelques
mouvements minoritaires. Mais les institutions religieuses
elles-mêmes ont toujours entretenu des rapports avec les pouvoirs
civils, par le fait même qu'elles ont une influence et des
responsabilités. Pour
l'Histoire générale, il
faut bien comprendre que la Réforme du XVI° siècle est un
titre usurpé. Lorsque
Paul Sabatier, dans sa
célèbre Vie de Saint François d'Assise en 1893,
la qualifiait de simple mouvement intellectuel et lui opposait
la réforme véritable, celle de saint François, il scandalisa tout
le Protestantisme de France. Il faisait sans doute une erreur de
perspective, car il cautionnait ainsi des excès, dans la pratique de
la pauvreté, que nombre de fidèles amis du saint n'ont pas suivi.
Mais, réforme décisive il y avait bien, et elle se trouvait dans
l'interprétation de la Règle de 1223, la Regula Bullata,
qu'il a considérée, une
fois obtenue du Pape, comme
éternelle et intangible. Comme
si un pouvoir suprême pouvait jamais considérer comme intangible
une loi qu'il a signée. Le Protestantisme de France commettra la
même erreur à propos de l'Edit de Nantes de 1598... Par nature,
l'Autorité tend toujours à déborder de ses cadres écrits, et ceux
qu'elle favorise ont toujours tendance à l'applaudir. J'espère
qu'aucun lecteur ne me soupçonnera de penser secrètement à
l'actualité.
Pour en revenir à l'après-Servet,
il ne faut pas oublier que la théologie luthérienne
orthodoxe a été fixée définitivement par la Confessio
Catholica de Johann Gerhard (1637) et que le titre officiel de
l'Eglise Luthérienne est Catholique Evangélique. Il est
passé en français par l'intermédiaire des Alsaciens de langue
française tels que Jean-Frédéric Oberlin, puis à la Société des
Missions Evangéliques de Paris. Et l'idéal fut toujours de revenir
à l'unité catholique avec Rome. Les principaux initiateurs du
mouvement oecuménique protestant actuel eurent cet objectif
essentiel et l'ont clairement exprimé à l'occasion, par exemple
l'évêque épiscopalien Charles Brent, aumônier général de
l'armée américaine en 1917-18, dans sa correspondance avec Paul
Sabatier. Autrement dit, dans la pensée, comparable au suprême
espoir de saint François d'Assise pour la Règle de 1223, que
l'union avec Rome pouvait tenir dans une Loi écrite, un Covenant.
La Réforme luthérienne, c'était cela, et elle dépendait
strictement du dogme trinitaire.
La situation calviniste est différente. Les Français
se plaisent à souligner la logique de Calvin... En fait, si logique
il y eut , elle s'est construite sur des situations contradictoires,
comme le fut alors la politique française. Nous reparlerons des
relations avec l'Empire Ottoman, qui auraient pu faire basculer toute
la Réforme française vers l'Arianisme, soupçon que partagea la
Réforme luthérienne aussi bien que le Catholicisme. Les disputes
entre théologiens luthériens et calvinistes nourrirent les
controversistes catholiques, tels François Feuardent. Dans son
traité au titre éloquent: Entremangeries et guerres ministrales
(1604; p.351),
il évoque
longuement ce
soupçon de la part
des ministres luthériens:
Le Mahométisme,
l'Arrianisme et le Calvinisme sont frères et soeurs...
Soupçon qui
poussa les Calvinistes à être particulièrement agressifs contre
l'Unitarianisme, sans les libérer d'une situation de faiblesse dans
leurs débats théologiques en face des Luthériens. Mais le nom
même de Réforme est ici trompeur. Calvin, dans son traité Contre
la secte phantastique et furieuse des Libertins (1547,p.121-122),
considère comme un point diabolique de dire que les Etatz
sont bons, mais qu'il y a des vices à corriger, et qu'on peut
réformer l'Eglise sans en sortir. Autrement dit, la Réforme
Calviniste est en réalité un schisme, s'affirmant comme la
véritable Eglise, et donc résolument trinitaire,
en face de l'Eglise contraire, la Fausse Eglise.
Cet héritage a pesé sur l'oecuménisme actuel. En fait,
pour la France,
avec son histoire
religieuse tourmentée,
les sentiments que nous qualifions
aujourd'hui d'oecuméniques n'ont pas été inspirés par la
Théologie, mais, depuis le Siècle des Lumières, le XVIII° siècle,
sinon depuis toujours, par le respect de Protestants pour la piété
des Catholiques, et le respect de Catholiques pour une certaine
authenticité morale protestante. On a pu parler à cet égard de syncrétisme.
Disons
que le Fil d'Arius n'est jamais bien loin.
V
L'Exception Transylvaine.
L'Histoire de
France ne
retient guère,
des relations
avec l'Islam
et l'Empire ottoman, que les Capitulations de
1530 entre
François 1er
et Soliman
le Magnifique,
"nous" donnant le monopole de la représentation des
intérêts catholiques dans l'Empire Ottoman. Elles faillirent sauter
à l'occasion de la Guerre en 1914-18, mais
se retrouvèrent,
avec la
victoire,
au premier
rang de
nos préoccupations
nationales. Elles
provoquèrent même de
vives tensions,
avec l'Italie d'abord,
laquelle élevait, elle
aussi, quelques
prétentions à représenter les intérêts catholiques, et surtout
avec l'Angleterre. Celle-ci avait eu en effet le premier rôle dans
la Guerre pour
cette région
et conquis
Jérusalem, et tenait à conserver ses monopoles sur la Route des
Indes. Mais elles durent encore pour la "politique arabe"
de notre pays.Nous retenons encore de ces souvenirs
du XVI°
siècle les
célèbres "turqueries"
de Molière,
qu'on ferait
mieux sans
doute d'oublier
aujourd'hui.
Mais l'Histoire est devenue internationale. Des
pionniers tels que Jules Isaac ont commencé avec les points de vue
allemands, et cet échange est à présent classique. On a plus de
peine avec les Turcs. Or, dans le cours de l'Histoire, l'Empire
Ottoman est par excellence le pays de la Liberté de Conscience,
alors que les non-catholiques sont persécutés dans l'Europe
Chrétienne. Cette réalité majeure a été occultée parce que les
Chrétiens d'Orient ont de plus en plus mal supporté d'être
citoyens de seconde zone, soumis
à un impôt spécial. Et
comme c'était la France qui représentait principalement leurs
intérêts, c'est leur point de vue qui s'est imposé en France. Nous
n'entrerons pas en discussion sur l'actualité. Mais l'Histoire
internationale d'aujourd'hui impose de réviser nos anachronismes
naturels.
Cette révision est en particulier indispensable pour
comprendre l'exception transylvaine et son importance pour suivre le
Fil d'Arius dans sa continuité historique: Elle doit tout au
voisinage ottoman.
La Réforme a survécu en Hongrie orientale sous sa
forme calviniste et en Transylvanie sous sa forme unitarienne grâce
aux péripéties des guerres ottomanes. Comme chacun sait, elles ont
échoué devant Vienne. L'équilibre entre les grandes puissances
permit au XVI° siècle d'établir en Transylvanie un pouvoir plus ou
moins vassal de l'Islam, avec Jan Zapolya et un régime de véritable
liberté religieuse. Unitariens,
Calvinistes, Luthériens,
Catholiques, y ont
leur place. A part quelques adhésions individuelles, nous n'y avons
pas rencontré de Musulmans. Repoussée de la Hongrie orientale,
l'influence ottomane y permit pourtant le maintien d'une influence
calviniste importante.
Une destinée comparable à celle de la Transylvanie
faillit échoir à la Pologne. Son échec final ne fait pas oublier
que Sébastien Castellion (et l'ancien général des Franciscains
Bernard Ochino) en reçurent un émouvant et courageux témoignage.
Nous ne pouvons mieux faire ici que de citer in extenso
une page du monumental Sébastien Castellion de Ferdinand
Buisson, référence définitive pour le Protestantisme libéral
français (Hachette, 1892, t.II, p.264):
Il mourut le 29
décembre 1563: il avait quarante-huit ans.
Sa mort fut un
deuil pour l'Université. Les étudiants lui firent des funérailles
peut-être d'autant plus touchantes qu'ils savaient à quel péril
la mort venait de le soustraire.
Le cercueil porté sur les épaules de ses élèves était suivi
d'une foule nombreuse, et celui qui, vivant, allait paraître en
accusé devant le Sénat, reçut tous les honneurs publics dus à un
maître profondément aimé de la jeunesse. Il fut enseveli
honestissimo loco,
dit Zwinger, sous ce merveilleux cloître de la cathédrale de Bâle,
qui est encore aujourd'hui un sanctuaire unique de la Renaissance et
de la Réforme.
Trois de ses
élèves, probablement ses pensionnaires, résolurent de rendre à sa
mémoire un témoignage particulier de respect. C'étaient trois
jeunes nobles polonais venus à Bâle ainsi que plusieurs de leurs
compatriotesen partie pour suivre les leçons de Castellion. L'un
d'eux était le fils du comte Stanislas Ostrorog, ce personnage
considérable de la Réforme en Pologne, à qui Calvin lui-même,
malgré sa méfiance pour cette nation prête à glisser dans
l'hérésie, a rendu un si bel hommage. Ces dignes jeunes gens
obtinrent, paraît-il, que le pauvre professeur fût enseveli dans le
tombeau de l'illustre famille Grynaeus et firent graver sur le marbre
une épitaphe qui ne tarda pas, par sa justesse même et sa sobriété,
à attirer l'animadversion des ennemis. Ils se bornaient à dire
qu'ils élevaient ce monument à la demande de tous leurs camarades
polonais professori
celeberrimo ob multifariam eruditionem et vitae innocentiam doctis
piisque viris percharo (Au
professeur très célèbre pour l'étendue de son érudition, et
infiniment cher aux gens pieux et savants pour la pureté de sa vie).
Ils écrivirent en outre dans le goût du temps d'autres épitaphes
en vers latins qui ne valent que par la piété de l'intention. Ces
honneurs funèbres devaient soulever de nouvelles colères, et quand
ces jeunes gens allèrent achever leurs études à Zurich et à
Genève, leurs lettres nous apprennent par quelles méfiances on les
punit d'avoir été des "Castalionistes".
Il reste de cette
ère des Jagellons
qu'elle est encore,
pour les Polonais, l'âge
d'or (zloty wiek)
de leur pays.
En Transylvanie, au contraire, le courant unitarien
de la Réforme a pu survivre jusqu'à nos jours. Mais il convient,
avant d'entrer dans quelques détails, de préciser la nature de
l'influence ottomane. Le libéralisme religieux de l'Islam a frappé
les observateurs occidentaux, tels que le juriste Jean Bodin:
Les Arriens ont
toujours depuis (le
IV°siècle) continué et
continuent encore en Asie et Afrique sous la loy de Mehemet, qui est
appuyée sur ce fondement. Le roy des Turcs, qui tient une bonne
partie de l'Europe, garde sa religion aussi bien que Prince du monde,
et ne force personne; ains au contraire permet à chacun de vivre
selon sa conscience: et qui plus est, il entretient auprès de son
sérail à Pera quatre religions, toutes diverses, celles des Juifs,
des Chretiens à la Rommaine et à la Grecque, et celle des
mehemetistes, et envoie l'aumosne aux calogères, c'est-à-dire aux
beaux-pères ou religieux du mont Athos Chrestiens, à fin de prier
pour lui, comme faisoit Auguste envers les Juifs, auxquels il
envoyait l'aumosne ordinaire et les sacrifices en Jérusalem.(ed.
J.de Tournes 1579, p.453. Nous ne pouvons ici entrer dans les
détails. Mais qui veut approfondir étudiera les nombreuses éditions
latines, presque toutes éditées à Francfort, surtout à partir de
1594, deux ans avant la mort de Lean Bodin, et après le couronnement
du roi Henri IV, dont il soutient le pouvoir absolu fondé sur sa
légitimité dynastique. Il y a des différences, et ces éditions
latines sont truffées de citations en grec et en hébreu. Comme bien
des juristes de son temps, J.Bodin est un "nicodémite".)
Le pouvoir ottoman eut même l'occasion de réfréner
la hargne
des Calvinistes
contre les
Unitariens, alors
qu'eux-mêmes, en Hongrie orientale, devaient leur survie à la
longue occupation temporaire des Turcs.
Nous empruntons l'essentiel de ce qui suit à
G.Williams,The Radical Reformation(ed.2000, p.1108ss).
L'Unitarianisme, qui est la forme moderne de
l'Arianisme, apparaît en Hongrie orientale, sous pouvoir ottoman,
vers 1560. Il est explicitement prêché en 1561 par Thomas Aran.
Celui-ci se fait convaincre d'erreur à Debrecen par le surintendant
calviniste Pierre Melius, mais il passe en Transylvanie et continue à
y prêcher contre le dogme trinitaire.
Intervient ici l'évêque luthérien de Transylvanie,
Ferencz David, lequel, en tant que Luthérien, sentait déjà le
soufre: sa conception de la Sainte Cène, dite "sacramentaire",
était plus proche de l'arianisme que de la conception catholique,
fût-elle "évanglique", c'est-à-dire luthérienne. Aran
et David s'entendirent, et la grande bataille commença. Le premier
choc eut lieu à Nagysvarad (Oradea) en Transylvanie proche de
Debrecen, entre David et Melius, du 20 au 25 Octobre 1569. David
présenta douze propositions antitrinitaires. Melius les attaqua avec
violence, au point que le roi, à l'époque Jean II Zapolya, lui-même
resté catholique, intervint en déclarant qu'on ne devait pas forcer
les consciences en religion.
Sire,
dit Melius, que votre Altesse m'entende, et vous tous ici présents
! Le Seigneur m'a révélé cette nuit de nouveau qui il est, et
comment il est son véritable et propre Fils, auquel je rends grâce
pour toujours !
-Pasteur Pierre,
répondit le roi. Si c'est cette nuit que le Seigneur vous a vraiment
révélé qui il est, qu'avez-vous prêché auparavant ? Vous avez dû
tromper tout le monde jusqu'à maintenant !!
George Williams, rendant compte de la scène, trouve
que l'humour royal y allait un peu fort...(p.1115)
Il reste que
chaque parti tira ses propres conclusions du débat, celles du "Camp
David" étant revues et corrigées par le roi, et fut scellée
ainsi la rupture entre Calvinistes et Antitrinitaires. Le terme
d'Unitariens
date de 15 ans plus tard.
Ce grand débat marque le commencement des adhésions
massives, en Hongrie et en Transylvanie, au Christianisme de tendance
unitarienne et de son organisation ecclésiastique. Mais non pas la
fin de la guerre théologique. Il faut en particulier rappeler une
véritable ordalie en champ clos en 1574, toujours à
Nagysvarad-Oradea, près de la frontière. Deux champions dans chaque
camp; les vaincus devant être pendus. Du côté unitarien, Luc
Tolnaï et George Alvinczi. Williams ne donne pas les noms des
champions calvinistes. Le camp calviniste étant déclaré vainqueur,
Alvinczi fut pendu. Mais un riche Unitarien proche du palais beylical
protesta, et réclama la mort du responsable calviniste. Alors le
Pacha Turc ordonna une dispute théologique en sa présence, entre
Calvinistes et Unitariens. Il décida que l'exécution
d'Alvinczi avait
été inhumaine,
et ordonna l'exécution
de trois
Calvinistes, dont
le surintendant. Les Calvinistes demandèrent grâce. Et les
Unitariens appuyèrent leur demande, en déclarant qu'ils ne
désiraient pas se venger. Finalement, les condamnés s'en tirèrent
avec une grosse rançon... et un impôt supplémentaire fut levé sur
tous les Chrétiens .... au bénéfice du Trésor du Pacha.
X
La vague du mouvement unitarien devait pourtant
s'arrêter, presque d'elle-même, par sa tendance à la division
interne. Après avoir nié la divinité de Jésus-Christ, une partie
des Unitariens trouva qu'il ne devait pas être objet d'adoration,
les autres maintenant que si, en s'appuyant sur l'exemple d'Etienne
priant au moment de mourir "Seigneur Jésus, reçois mon
esprit" -On peut ici remarquer qu'au II°siècle, Tertullien
appuyait déjà sur cette parole une conception pratiquement
"binitaire" du culte chrétien. Cette évolution
était peut-être logique, en tout cas on l'observera plus tard en
France, et à deux reprises. Au XVIII°siècle avec l'Encyclopédie,
et la Déclaration des Droits de l'Homme, puis à la fin du XIX°
siècle, avec l'idéologie
laïque du
Service Public. Puisque le mouvements unitarien est toujours
lié à la liberté des adhérents,les schismes y sont peut-être
regrettables, mais ils ne doivent pas étonner.Nous y reviendrons.
VII
Protestantisme populaire et Islam
Il manque cependant à notre exposé un chapitre
important, que certains lecteurs mieux informés combleront
peut-être. Nous ne trouvons pas les opinions de penseurs musulmans
sur la Réformation. Nous savons qu'elle est vue avec sympathie
politique, car elle affaiblit le Saint Empire catholique. Nous
trouvons un peu plus dans les sentiments populaires, mais rien avant
le Réformisme musulman de la fin du XIX° siècle pour ce qui est de
la Théologie. En tout cas, l'un des reproches principaux du Coran à
l'égard des Chrétiens étant, à part ce qui concerne la divinité
du Christ, leurs querelles internes, nous avons pu voir, avec les
disputes entre Luthériens et Réformés, puis entre Calvinistes et
Unitariens, qu'ils n'ont pas eu l'occasion de changer d'avis. D'autre
part, le pouvoir des Médias n'étant pas une invention moderne,
il faut
tenir compte
de leur
importance dès
le XVI°siècle.
Nous sommes
au siècle
de l'Humanisme, les
manuscrits grecs arrivent par Venise. L'ambassadeur français, un
fidèle de Marguerite de Navarre qui est le véritable Ministre des Affaires Etrangères de
François 1er, l'évêque érudit Guillaume Pellissier, se procure
les textes par tous les moyens pour la Bibliothèque Nationale, les
volant quand il peut, achetant, faisant copier. Mais avec les textes
arrivent aussi les ecclésiastiques grecs dépossédés par les
pouvoirs ottomans, et les informations sur leur rapacité cruelle...
Ainsi se construit l'opinion des peuples:
La
conscience d'un Turc
!!! (Molière) Le
sang des Ottomans Ne doit point en esclave obéir aux serments
( Bajazet) Le même Racine applaudit au même moment à la
Révocation de l'Edit de Nantes...
Il reste que les sympathies populaires ont existé, en
Europe, et dans les deux sens. On en trouve des témoignages dans
T.W. Arnold , The Preaching of Islam (Aligarh,1896, Lahore
1961,1965). Nous en avons donné une série dans des Cours sur
l'Islam à la Faculté de Théologie Protestante de Paris en 1966 et
1967. En voici deux: Lors de la Révolte des Gueux de Guillaume
d'Orange contre l'Espagne en 1566, désignés par ce titre à cause
de leur uniforme "pauvre jusqu'à la Besace"-il ira,
je l'espère, au coeur de mes amis Unitariens- furent frappées des
monnaies en forme de croissants, avec la devise: Plutôt Turcs que
Papistes ! (LIVERTURCK*DAN PAVS). Ils furent les alliés les plus
fidèles d'Henri IV.
L'autre est d'une émouvante simplicité. Nous le
donnons in extenso.
Témoignage
de Jean Marteilhe,
galérien (1700-1713) né en 1684. Ed.Toulouse 1864, p.251ss)
Il
faut en rester à cette expression de la sympathie populaire, et se
rendre à l'évidence qu'elle ne peut rien à elle seule, sans
l'appui des pouvoirs politiques. Il y eut bien des représentations
diplomatiques du pouvoir ottoman auprès de la Cour de France, en
faveur des Protestants persécutés. La diplomatie donna pour réponse
qu'il s'agissait de rébellion contre la volonté du Roi, et le Grand
Seigneur admit, ou fit semblant d'admettre, qu'il s'agissait
d'affaires purement intérieures françaises. En Transylvanie, les
Unitariens se divisèrent sur le thème de l'adoration du Christ...
Le pouvoir politique s'éleva contre le parti sabatarien
qui la refusait. Nous n'avons malheureusement trouvé aucune
indication positive sur l'opinion qu'en put avoir l'autorité
ottomane.
Mais il y a une
vénération musulmane de Jésus,
Sidna Aïssa,
qui nous fait douter a
priori d'une
quelconque intervention ottomane en faveur des Sabatariens récusés
par l'autorité politique transylvaine. Ayant penché de ce côté,
l'évêque unitarien Ferencz David, l'un des principaux protagonistes
de la vague unitarienne, fut emprisonné et mourut peu après dans la
forteresse de Deva,
environ 150km à
l'est de Timisoara,
le
15
Novembre
1579.
*Lazaristes,
fondés par St Vincent de Paul.
*
le mot, resté en usage en Afrique du Nord jusqu’à l’époque
contemporaine, vient de la Chrétienté avant l’Islam.
|
Les
missionnaires de Marseille *,
qui nous ont toujours persécutés à toute outrance, ne
trouvaient aucune occasion de renouveler et d’augmenter nos
souffrances, qu’ils ne l’embrassassent avec ardeur. Sachant
que nos frères des pays étrangers nous faisaient tenir, de temps
en temps, quelque argent pour nous aider à ne mourir pas de faim,
et se persuadant que si cette ressource nous était ôtée, ils
nous prendraient par famine, proposèrent en cour de donner ordre
aux intendants de Marseille et de Dunkerque, et aux majors et
autres officiers des galères, de tenir la main à ce qu’aucun
négociant ou autre ne comptât de l’argent ou remît des
lettres de change aux galériens de la religion réformée, qui
étaient aux galères.
La
cour ne
manqua pas
d’envoyer
ces ordres
et commanda
de les
faire exécuter à la
rigueur,
et de procéder criminellement
contre les
négociants ou
autres qui
seraient convaincus
d’avoir contrevenu
à la
défense. On peut juger si les missionnaires, sous lesquels
tout pliait, faisaient observer exactement qu’aucun secours ne
nous parvînt. Leur grande attention était à découvrir quels
marchands ou banquiers nous fournissaient de l’argent, par
correspondance des pays étrangers, afin de les faire punir si
sévèrement, qu’aucun autre, par
la suite,
ne s’y osât exposer.
Mais par la grâce de Dieu,
jamais ils n’ont pu parvenir à cette découverte,
quoique ces subventions nous parvinssent très souvent; je dois
ajouter aussi, grâce à la fidélité des esclaves turcs, qui
nous servaient merveilleusement bien, par pure bonté et charité
pour nous.
En
parlant de la fidélité et de l’affection que les turcs nous
portaient, j’en dirai ici un exemple qui concerne le turc qui me
servait dans ces occasions à Dunkerque.J’ai dit ci-dessus que
je fus commis pour recevoir ces subventions et les distribuer à
nos frères. J’étais enchaîné dans mon banc, sans avoir la
liberté d’aller en ville, et cela par la malice des aumôniers
des galères, qui nous empêchaient d’avoir ce privilège, que
les autres forçats, condamnés pour leurs crimes,
avaient bien,
en payant un sou à l’argousin et autant au garde
qui les y conduisait. Comment faire donc pour recevoir cetargent ?
M.Piécourt m’envoya une fois ou deux, par son commis, ce qu’il
avait ordre de me compter. Mais les ordres de la cour ayant été
renouvelés avec de grandes menaces à l’intendant et aux
officiers qui négligeraient d’y tenir la main, le commis du
sieur Piécourt n’osa plus s’y exposer. Son maître, me
l’ayant fait savoir, me pria de trouver quelqu’un de toute
fidélité, pour envoyer chez lui prendre cet argent à chaque
remise. J’étais encpore novice sur l’affection et la fidélité
que les turcs nous portaient. Cependant je m’en ouvris au turc
de mon banc qui, avec joie, entreprit de me rendre service, en
mettant la main sur son turban (ce qui est parmi eux un signe de
l’épanchement du coeur vers Dieu), en le remerciant de toute
son âme de la grâce qu’il lui faisait, de pouvoir exercer la
charité au péril de son sang, car ce turc savait bien, que s’il
avait été pris, en nous rendant ce service, on lui aurait donné
la bastonnade jusqu’à la mort, pour lui faire avouer quel
marchand nous comptait de l’argent.
Ce
turc donc, qui se nommait Isouf, me servit quelques
années très fidèlement, sans jamais avoir voulu prendre de moi
le moindre salaire, m’alléguant que, s’il le faisait, il
anéantirait sa bonne oeuvre et que Dieu
l’en punirait.
Ce bon turc fut tué au combat de la Tamise.
C’est celui dont le bras me resta à la main, comme je
l’ai raconté. Je fus
fort affligé
de sa
mort,
et je
ne savais
à qui
m’adresser pour
me servir.
Je n’eus
cependant pas la peine d’en chercher un, car dix ou douze, les
uns après les autres, me vinrent solliciter, comme on sollicite
un office lucratif dans le monde. Il faut savoir que, lorsque les
turcs ont occasion d’exercer la charité ou d’autres bonnes
oeuvres, ils communiquent la joie qu’ils en ont à divers de
leurs papas*
(c’est
ainsi qu’ils
appellent leurs
théologiens qui,
pour toute
science,
savent lire l’Alcoran), leur
demandant leur avis
sur les bonnes
oeuvres qu’ils
entreprennent de faire;
et quoique j’eusse
instamment prié mon Isouf
de ne communiquer
à personne le
service qu’il
me rendait,
il ne put s’empêcher, par principe de religion,
de dire la chose à ses papas,comme
je le sus après sa mort.
Ces bonnes gens donc,
voyant que je serais embarrassé pour ne savoir à qui me
fier, vinrent donc, les uns après les autres, me prier de me
servir d’eux, me marquant des sentiments si pieux et me
témoignant tant d’affection pour ceux de notre religion, qu’ils
appelaient leurs frères en Dieu, que j’en
fus touché jusqu’aux larmes. J’en acceptai un nommé Aly,
qui sautait de joie d’obtenir un emploi si périlleux pour lui.
Il m’y rendit service pendant
quatre ans, c’est-à-dire jusqu’au temps qu’on nous enleva
de Dunkerque, et il s’y comporta avec un zèle et un
désintéressement inexprimables. Ce turc était pauvre, et j’ai
diverses fois tenté de lui faire accepter un écu ou deux, lui
alléguant que ceux qui nous envoyaient cet argent prétendaient
que ceux qui nous servaient en
ressentissent quelque
douceur.Il refusa toujours
constamment,disant dans
son style figuré que cet argent lui
brûlerait les mains; et lorsque je lui disais que, s’il n’en
prenait pas, je me servirais d’un autre, ce pauvre turc était
comme au désespoir, me sollicitant à mains jointes de ne pas lui
fermer le chemin du ciel. Ce sont ces gens que les chrétiens
nomment barbares, et qui, dans leur morale, le sont si peu
qu’ils font honte à ceux qui leur donnent ce nom
|
VIII
La résurgence arienne
Au
point où nous nous sommes arrêté, le fil paraît coupé. Il l'a
été non par la Hiérarchie Catholique, mais
par
le
camp réformateur lui-même.
Il
y a deux Luthers bien différents.
Avant
la Guerre des Paysans de 1525, et après. Qui voudra s'en rendre
compte se reportera au Commentaire
Allemand du Notre Père,
de 1519, puis au commentaire qui se trouve dans le Petit
Catéchisme
de 1529. En 1519, c'est le Luther de l'Histoire officielle et des
Films, celui qui risque sa vie devant la Diète de Worms en 1521. En
1529, c'est le Luther de la caricature, où la vie du village est
dominée par trois personnages, le Maire, le Commissaire de Police,
et le Pasteur. De la même manière, on pourra comparer la Préface
de Calvin (1535), dans la Bible d'Olivétan, au Calvin qui a pris le
pouvoir à Genève, après 1541. En 1535, il réclame pour tous
le
droit d'accéder directement à l'Ecriture.
A
Genève,
les
cultes privés seront interdits.
Entre
les deux, des
évènements
politiques
majeurs
ont joué un rôle contraignant,
et
nous devons éviter les anachronismes quand nous nous sentons
contraints de les juger. Il en est de même en Europe orientale, un
peu plus loin sur le chemin de la Liberté. L'Unitarisme lui-même
s'est divisé, et l'on peut songer à comparer Ferencz Dàvid à
Michel Servet. G.H.Williams, le grand historien de la Réforme
radicale,
ne va pas jusque là. Le point de vue de Dàvid aboutissait à créer
une véritable société se réclamant du Judaïsme. Mais Williams
reconnaît
(p.1301)
que
son point de vue ne satisfait pas les successeurs actuels de Dàvid.
N'entrons pas ici dans une comparaison d'échelle entre les cruautés
que ces deux victimes ont subies, ni sur les contextes politiques. Je
ne sais s'il y eut en Europe orientale, pour prendre la défense de
Dàvid, des hommes tels que Sébastien Castellion pour Servet. Il n'y
avait pas, en Transylvanie, de société juive reliée à l'Histoire,
et je ne sais rien des échos que Dàvid et son mouvement purent
soulever chez les Juifs de Pologne.
Autrement dit, le
problème est à reprendre, et nous y reviendrons.
David
Flusser,
historien
Juif reconnu, a écrit:
L'histoire du Pharisaïsme depuis le commencement de ce mouvement
jusqu'aux jours de Jésus est marquée par les progrès d'une
humanisation progressive du Judaïsme, et la doctrine de Jésus est
le couronnement de ce progrès
(Dossiers de l'Archéologie, mai-juin 1975).
Dans
de telles conditions, il est clair qu'une réflexion où le penseur
chrétien ne se pose pas en Verus
Israel,
l'Israël
véritable
-tel
saint Augustin et d'autres- mais respecte la continuité historique
du Judaïsme, pourra s'appuyer sur des relations nouvelles, entre
personnes et entre groupes sociaux.
Mais
s'il a manqué à la vague unitarienne du XVI°siècle une grande
puissance politique pour la soutenir, le temps ne lui était pas
compté. Se
retrouve
ici
le combat célèbre de la violence et de la vérité,
illustré
par la Douzième Provinciale de Pascal dans sa conclusion.
Il
montre bien les ressources infinies d'un espoir que rien jamais
n'éteindra, car "la
vérité est éternelle et puissante comme Dieu même".
Du scandale Servet va naître l'arme à longue portée de la Liberté,
faite de science, de prudence, et de ténacité. Servet avait été
condamné au motif de la responsabilité du pouvoir souverain sur le
culte rendu à
Dieu, allant jusqu'à légitimer les exécutions capitales pour crime
de lèse-majesté divine.
Le
Juriste François Baudoin démontra qu'il s'agissait là d'une glose
ajoutée au code de Droit Romain au VI°siècle. Autrement dit,
l'exécution de Servet était illégale.
Ce fut, à notre connaissance, le premier succès de l'exégèse
critique.
Le Fil d'Arius était là.
IX
La
République des Lettres
Comme
dit le Jupiter de Jean-Paul Sartre dans Les
Mouches,
"Le secret douloureux des dieux et des rois, c'est que les
hommes sont libres". Quand les hommes le savent....
Avec
des milliers d'imprimeurs dispersés dans toutes l'Europe, le latin
et la correspondance, la science et les idées peuvent contourner les
pouvoirs. Même pas besoin de peuple. Seulement de l'argent pour
payer les livres et le train de vie indispensable, avec un
établissement social assez solide, souvent dans la carrière
juridique. La poste fait le reste. Dans ce cadre protégé,
l'adversaire idéologique reste un vir
doctissimus,
et c'est le triomphe de la politesse XVII°siècle entre "très
humbles et très dévoués serviteurs".
On se communique les titres des derniers livres parus chez tel
imprimeur de Paris, Bâle, Francfort, Venise, Oxford, Anvers... Bien
entendu Catholiques érudits et Calvinistes de la rigoureuse
orthodoxie en sont partie intégrante. Mais l'essentiel est qu'ils
n'y sont pas seuls. La grande tribu d'origine italienne Diodati y
joue un rôle central, avec en particulier l'avocat Elie Diodati,
citoyen
de Genève,
mais
non-calviniste et donc plus tranquille à Paris sous le régime de
l'Edit de Nantes. Son cousin Jean Diodati, traducteur de la Bible en
italien, puis en français, calviniste bon teint, est l'ami d'autres
théologiens qui le sont beaucoup moins comme l'Ecossais John
Cameron, pasteur à Bordeaux
puis
professeur
à
l'Académie
protestante de Saumur.
Le
cousin
Jean
est
pour
Elie
une
bonne
caution
du
côté
de
Genève.
Et
il
met
ses
immenses
relations
et
sa
culture
polyglotte
au
service de tous.
Il
représente à Paris les intérêts
de
la
République
de
Genève,
et
défend utilement l'industrie textile suisse en France;
Richelieu
lui confie une mission commerciale en Allemagne: moyennant quoi
l'essentiel est que Diodati a compris l'importance scientifique de
l'oeuvre de Galilée, reclus en Italie après sa condamnation, et
il en assure la diffusion dans toute l'Europe, contournant
l'Inquisition.
On
devine que le Fil d'Arius est présent, et que l'érudition le sert
aussi efficacement qu'il y a douze siècles, au débat entre saint
Augustin et Maximin. Parmi les étoiles de première grandeur de
cette République des Lettres, il faut une mention particulière pour
Hugo Grotius, un disciple de Fausto Sozzini, unitarien du XVI°siècle
selon André Rivet, membre notoire et calviniste rigoureux de la
République des Lettres. Certes, cela ne se voyait pas directement
dans le traité de Grotius
De veritate Religionis Christianae
(1627). Mais un bon calviniste savait y déceler ce qui manquait à
son orthodoxie, masqué par une érudition impressionnante. La
réalité historique de la Vie
de Jésus y est
,prouvée avec TOUS les arguments, tirés de l'Histoire romaine, que
nous avons trouvés dans les écrits du Professeur Maurice Goguel
trois siècles plus tard; et ils y sont avec un déluge de notes
érudites en latin et en grec, parfois en hébreu. Grotius n'attaque
pas directement le dogme trinitaire; mais il défend la vérité
chrétienne contre des adversaires non-chrétiens, en soulignant les
analogies qu'on trouve soit chez le Juif Philon d'Alexandrie,
soit dans le Coran:
Jésus,
le Messie,
est le Verbe de
Dieu fait homme, avec l'Esprit de Dieu. L'expression est dans le
Coran (III,40; IV,169), et signifie pour nous l'Incarnation. C'est
ainsi que, huit siècles avant Grotius,
le
Patriarche
nestorien
Timothée
1er argumentait
déjà, lui aussi, et en parfaite courtoisie, face au Calife de
Bagdad.
X
Le progrès des sciences: NEWTON
L'érudition
scripturaire et patristique domine désormais le champ culturel. Les
théologiens le partagent avec des médecins, dont Servet reste le
plus célèbre, et avec des juristes comme Grotius. Les disciplines
que nous qualifions à présent de scientifiques, mettront un peu
plus de temps à s'imposer dans le débat théologique. Bien sûr, on
ne peut ignorer Pascal. Mais Newton représente l'Everest d'un
Himalaya scientifique. Il est d'autant plus important pour notre
objectif, limité à l'observation d'une filiation, que sa pensée
religieuse ne nous est vraiment accessible dans son ensemble que
depuis quarante ans.
La
faute en revient à Newton lui-même qui a dissimulé plus que
quiconque son "nicodémisme".
Mais la peur a fait partie du problème depuis le IV°siècle.
La
pensée arienne de Newton n'est vraiment connue que depuis la mise à
disposition des érudits du fonds manuscrit Yahuda, à la
Bibliothèque Nationale d'Israël, en 1969. On trouvera les détails
dans Richard
Westfall,
Never at Rest, A biography of Isaac Newton,
Cambridge
1980.
Nous n'insisterons pas sur les
polémiques de divers ordres, liées à la carrière de Newton et à
son héritage. En particulier sur les questions de priorité
scientifique avec le philosophe mathématicien allemand Leibniz.
Les
grands hommes ont leurs petitesses, et, dit saint Paul, nous jugerons
les anges (1
Cor. 6,3).
Disons seulement que, pour démontrer la Loi de la Gravitation
Universelle,
il
était indispensable d'avoir identifié comment représenter une
force par le calcul. Cela, c'est Newton qui l'a réalisé. Que la
pratique de ce calcul
fût
perfectible,
c'est
également
indiscutable.
Mais
le plus admirable est peut-être encore dans ces imperfections du
calcul que les travaux de Leibniz et d'autres corrigeront. TOUT était
à faire à la fois. Newton, tout comme Descartes, ignore le
maniement des nombres négatifs. On admirera sans réserve la
performance des savants qui ont travaillé sur les grands problèmes
de la nature sans les outils appropriés dont nous disposons
aujourd'hui. Et nous aurons aussi une pensée compréhensive pour ces
disputes acharnées de priorité. Car il est bien vrai que tout
progrès dans la réflexion mathématique amène son auteur à penser
que son prédécesseur avait mal compris le problème.
Avec
le mouvement intellectuel du XVII°siècle se produit un phénomène
d'importance majeure. Newton,
à la différence de Leibniz, explore la NATURE physique plus que
l'Entendement humain. Il est l'inventeur du télescope, et ses
travaux sur la théorie de la lumière et des couleurs ont autant de
place dans sa vie, sinon dans sa renommée:
La nature, c'est-à-dire, dans l'esprit du temps, l'oeuvre de Dieu
qui a
créé toutes choses. Il est clair que nous venons d'oublier Dieu
complètement. Toi-même, lecteur, t'en es tu aperçu? Or c'est par
l'idée de Création que la Théologie dominait l'ensemble du savoir.
Dans les débats dogmatiques, aujourd'hui encore le début de la
Genèse importe plus que les récits évangéliques!
A
vrai dire, Isaac Newton ne semble pas avoir immédiatement ressenti
la gravité du problème. De formation puritaine, il tient encore sur
un carnet, en chiffre, le compte de ses péchés, quand en 1660, peu
après la fin de la République de Cromwell, il arrive au Collège de
la Sainte et Indivisible Trinité à Cambridge, le mieux coté de
l'Université. Agé de 18 ans, étudiant serviteur (subsizar),
il doit "réveiller les autres, vider leurs pots de chambre, et
servir à table"
(Westfall p.71).
Sa
passion
pour
les mathématiques l'isole,
comme
son caractère,
mais
n'attire ni la jalousie,
ni
le soupçon sur son orthodoxie. Ses premières découvertes
marquantes concernent l'Optique,
et
révèlent un physicien expérimentateur génial. Il décompose la
lumière avec le prisme, puis la recompose avec une lentille, et en
conclut au fait que la lumière blanche résulte d'un mélange de
lumières de couleurs indépendantes. 1666. Il obtient ses grades,
devient fellow
de son Université, avec une chaire dite de Mathématiques, où il
enseigne aussi l'Astronomie, l'Optique, la Mécanique et la
Géographie. Alors les jalousies commencent. Surtout, règlement
oblige, il doit dans les trois ans prendre les ordres ecclésiastiques
et prêter serment à la Sainte et Indivisible Trinité. Il s'y
préparera avec grand soin,
deviendra
un antitrinitaire décidé, farouche ennemi d'Athanase... et s'en
cachera soigneusement. C'est l'ensemble de ces études qui a été
dévoilé avec le fonds Yahuda
d'Israël vers 1970. Un autre fonds datant de la même époque serait
celui de la Fondation
Bodmer
près de Genève. Mais il n'est pas ouvert au public. Apparemment, il
doit concorder avec le précédent.
On
devine qu'avec son incroyable puissance de travail,
Newton
devient rapidement un érudit dans tous les domaines classiques de la
théologie. L'analyse du Nouveau Testament l'amène à cette
conclusion,
que
les
textes
ont
été
modifiés
par
les
Autorités
pour
leur
donner
un
sens trinitaire qu'ils n'avaient pas jusqu'au Concile de Nicée (325)
(Sans
pouvoir entrer ici dans les détails, disons que certains exemples
lui donnent raison, mais qu'il en existe d'autres en sens contraire.
MC)
Surtout, il a découvert l'interprétation historique des
Apocalypses. Il s'agit de textes écrits de manière codée, dans un
contexte historique précis qu'il convient d'identifier. C'est ainsi
qu'il date l'Apocalypse
de
saint
Jean
de la fin du règne
de
Néron.
Comme
pour
le
Calcul
Différentiel
et
Intégral,
ses
démonstrations
seront
corrigées
et
précisées.
Il
reviendra
à
Edouard
Reuss,
de
Strasbourg,
vers
1840,
de
reconnaître dans le chiffre de la Bête, 666 ou 616 suivant les
manuscrits, la valeur du nom de l'Empereur Néron
dans
ses
transcriptions
en
hébreu
(NeRON
CeSaR
ou
NeRO
CeSaR,
N=50,
R=200, O=6, C=100, S=60, On compte seulement les majuscules.
50+200+6+50+100+60+200=
666.
MC).
Mais
la
méthode
de lecture est moderne.
Donnons
in extenso
un passage, central
pour notre objet,
de Westfall
(p.315),
inspiré des
manuscrits Yahuda:
Pour
Newton, adorer Christ comme Dieu était de l'idolâtrie, le péché
majeur à ses yeux. "Idolâtrie" apparaît dans les titres
primitifs de son agenda théologique. Cette grande perversion du
Christianisme a pollué, au IV°siècle, le culte authentique du vrai
Dieu établi dans l'Eglise primitive. S'il
n'y a pas transsubstantiation, écrit-il
vers 1970, il
n'y eut jamais pire idolâtrie que la Romaine, ainsi que même des
Jésuites l'avouent.
Newton affirmait que le pape, à Rome, avait
été
le
complice
d'Athanase,
et
que
l'Eglise
Romaine
idolâtre
était
le
direct
sous-produit
des
corruptions
d'Athanase.
Et
finalement -une fin qui vint très vite- Newton se convainquit qu'une
corruption totale de la Chrétienté avait suivi la corruption
de la doctrine: le fonctionnement de la primitive Eglise avait fait
place à la concentration du pouvoir ecclésiastique
entre
les
mains
de
la
Hiérarchie.
L'institution
perverse
du
monachisme
jaillit
de
la
même
source.
Athanase
avait favorisé saint Antoine, et les trinitariens avaient introduit
les moines dans le gouvernement ecclésiastique.
Au
IV° siècle, le trinitarianisme avait infecté toute la Chrétienté.
Sans le dire expressément, il pense que la Réformation Protestante
n'a pas touché le foyer même de l'infection. Dans la Cambridge des
années 1670, c'eût été dur à faire avaler (a
strong meat indeed).
Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi Newton devint impatient
de quitter des occupations mineures, telles que l'Optique ou les
Mathématiques: Il
s'était donné pour mission de réinterpréter la tradition centrale
de toute la civilisation européenne.(souligné
par nous. MC)
Bien
avant 1675, Newton était devenu un Arien au sens original du terme.
Il reconnaissait Christ comme un divin médiateur entre Dieu et
l'homme, subordonné au Père qui l'avait créé. Christ avait mérité
d'être adoré, mais non pas comme Dieu le Père, par le fait même
qu'il était resté humble et obéissant jusqu'à la mort..
Bref,
nous reconnaissons le langage d'un Maximin face à saint Augustin,
voire celui du Patriarche Timothée en face du Calife de Bagdad.
C'est nous qui avons souligné l'interprétation de R.Westfall sur le
sens donné par Newton à sa mission religieuse. Elle est à mettre
en face, et en opposition, à celle que Calvin s'était donnée en
son temps. Car elle explique leurs comportements, même si elle ne
les légitime peut-être pas. Pendant la peste de 1542 à Genève,
ces Messieurs les Pasteurs s'étaient penchés sur un grave problème:
Fallait-il visiter les malades et aller au-devant de la contagion. La
décision fut que oui, sauf pour Calvin dont la vie était trop
importante pour la Cause de Dieu. Après quoi les autres hésitèrent.
Pourquoi
lui
et
pas
moi
?...C'est
alors
que
Sébastien
Castellion,
professeur
de
grec
au
Collège,
se
proposa
comme
aumônier
de
l'hôpital!
Calvin
ne
le
lui
pardonna
pas,
et
le fit chasser peu après de Genève.
Il
y
aura,
dans
le comportement de Newton,
quand
il parvient à la gloire scientifique,
un
questionnement comparable.
Il
faut comprendre que Newton était seul à comprendre l'importance de
ses découvertes scientifiques et théologiques, et le lien qui
s'établirait entre elles. Il fallait qu'il restât vivant, et
reconnu. C'est
pourquoi
il
n'a
rien
publié
de
ses
réflexions
hérétiques,
et
laissé
tomber
des
disciples
compromettants. Il est ainsi devenu autoritaire, voire tyrannique,
riche, aimant les honneurs.
C'est le problème
de toutes les grandes causes, entraînant des risques mortels. Les
grands chefs politiques et militaires ont à prendre la décision où
d'autres se feront tuer sous leurs ordres. On leur reprochera de ne
pas s'être posé ce problème, mais on leur fera gloire de prendre,
dans la nécessité, les grands risques eux-mêmes. L'Histoire nous
dit que le reproche exista, pour Newton comme pour Calvin.
XI
Le Siècle des Lumières.
Quand
Voltaire, qui fera plus que tout autre pour diffuser la pensée
scientifique de Newton, publie en 1738 ses Eléments
de la pensée de Newton, mis à la portée de tout le monde,
un modèle de vulgarisation scientifique, il y a trois parties
concernant les lois de la dynamique en Astronomie, l'Optique, et des
Planches, contenant les figures associées aux sujets abordés. Rien
sur la Philosophie ni la Religion. Nul ne pensera que Voltaire ait
voulu ménager la théologie officielle. D'ailleurs la philosophie
antitrinitaire filtrera bien à partir des cercles ayant connu Newton
au début du XVIII°siècle, Locke, et surtout l'Encyclopédie. Louis
de Jaucourt, l'un de ses principaux rédacteurs, esprit aussi
universel que discret, est membre de la Royal
Society
de Londres. Son article sur la TRINITE est un modèle de diplomatie:
TRINITE:
Ce mot est reçu pour désigner le mystère de Dieu en trois
personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Il me semble qu'il y
aurait de la témérité d'entreprendre d'expliquer ce dogme, parce
que vu le silence des écrivains sacrés, les explications ne peuvent
être qu'arbitraires et chacun a droit de forger la sienne.
De
là vient que saint Hilaire par son expression trina
deitas
trouva tout autant de censeurs que d'approbateurs qui disputèrent
vainement sur un sujet dont ils ne pouvaient se former d'idée. Aussi
Chilpéric 1er, monarque singulier si le portrait que nous en donne
Grégoire de Tours est fidèle, voulut donner un édit pour défendre
de se servir même à l'avenir du terme de trinité,
et de celui de personne en parlant de Dieu. Il condamnait le premier
terme parce qu'il n'était pas dans l'Ecriture, et proscrivait le
second, parce qu'étant d'usage pour distinguer parmi les hommes
chaque individu, il prétendait qu'il ne pouvait en aucune manière
convenir à la divinité.
Connaissais-tu
Chilpéric 1er, ô lecteur ? Je t'avoue que je l'ignorais avant
d'écrire ce feuilleton. C'est un petit-fils de Clovis. Voici
l'original de Grégoire de Tours (Livre V, XCVIII;trad.
F.Guizot, 1823):
(L'ambassadeur Agatan du roi arien wisigoth espagnol Léovigilde est venu rencontrer Chilpéric pour le convertir à l'arianisme, vers 580. Chilpéric le met en débat avec Grégoire de Tours. Et ce débat tourne à l'avantage de l'arien, avec les arguments scripturaires habituels: Le Père est plus grand que moi, etc. Mais, tombé malade à son retour en Espagne, Agatan se convertit.)
En
ce même temps, le roi Chilpéric écrivit un petit traité portant
qu'on ne devait pas désigner la sainte Trinité en faisant la
distinction des personnes, mais seulement la nommer par le nom de
Dieu, affirmant qu'il était indigne de Dieu qu'on lui attribuât la
qualification de personne, comme à un homme fait de chair, soutenant
aussi que le Père était le même
que le Fils, et le Saint-Esprit le même que le Père et le Fils.
C'est ainsi, disait-il, qu'il s'est montré aux prophètes (...) :Je
veux que toi et les autres docteurs de l'Eglise le croyiez ainsi.
Grégoire
s'indigna contre cet édit, et les pressions furent telles que
Chilpéric renonça rapidement. Le roi n'était pas le plus fort.
D'ailleurs il fut assassiné en 584. Et l'Espagne se convertit peu
après la mort en 586 de Léovigilde. Nous voyons que Jaucourt a
cherché très loin dans l'Histoire ce qui convenait à son propos,
indubitablement arien, mais difficilement attaquable.
Ajoutons que Jaucourt était protestant, auteur de nombreux articles
de religion de l'Encyclopédie. On doit à Jacques Proust, Diderot
et l'Encyclopédie,
(1962, 1995) la justice rendue à Jaucourt, rédacteur du quart des
68.000 articles, dont la quasi-totalité des articles écrits dans la
clandestinité après la mise à l'Index de ce monument culturel
français, quand Voltaire, d'Alembert et tous les prudents se furent
retirés du mouvement.
Il faut comprendre. La loi de la Gravitation Universelle découverte par Newton porte en germe la révolution religieuse. Mais elle n'est encore accessible qu'à l'élite intellectuelle, qui a des raisons d'avoir peur. L'Histoire attendra. En 1780, deux découvertes majeures, de Coulomb et Kant: Les lois de Coulomb sur l'électricité. Elles vérifient également une loi de même type que la Gravitation Universelle. Plus encore Kant, à Koenigsberg. Professeur de Mécanique et astronome, il trouve des différences entre ses calculs sur les mouvements des planètes et l'observation. Il en déduit l'existence d'une planète inconnue, dont il calcule la position. En 1781 Herschell annonce sa découverte d'Uranus, dans la position prévue par Kant. (Ce lien entre prévision par le calcul et découverte sera plus connu pour le cas de Neptune, en 1846, avec Le Verrier. Pour Kant, il est connu par Madame de Staël. MC) Peu après, il publie sa Critique de la Raison Pure. Désormais la place de Dieu n'est plus dans la gestion de la Nature, mais dans la Morale. A nous, bien sûr, de dire ce que nous entendons par la Morale, selon le proverbe: Dis-moi qui est ton Dieu, et je te dirai qui tu es. Il faut aussi mesurer le poids philosophique de la fameuse Loi de Conservation des Eléments, telle que Lavoisier la formule en 1783: Rien ne se perd, rien ne se crée dans la Nature. Il n'y a pas de Création !
Le
terrain est prêt,
désormais,
pour
les trois orientations que va prendre le mouvement initié par Newton
et mûri par la diffusion érudite du siècle des Lumières.
1°-
le piétisme kantien, d'affinité unitarienne,
2°-
la religion laïque autour de l'"Etre Suprême",
3°-Et enfin
l'Athéisme déclaré. Quand le mathématicien Laplace présentera à
l'Empereur Napoléon son Système
du Monde,
l'Empereur lui demandera quelle est la place de Dieu dans son
système:
-
Sire,
répond-il, je
n'ai pas eu besoin de cette hypothèse.
Entre temps,
Napoléon aura fermement rétabli la religion de l'Autorité. La
Trinité n'est pas vaincue.
XII
1789.
L'Edit de Tolérance
qui accorde aux Protestants les droits civils, grâce à l'enquête
du Président de Malesherbes, ne date que de 1787. La Déclaration
des Droits de l'homme fut mise au programme de la première Assemblée
Nationale française plusieurs jours avant la prise de la Bastille le
14 Juillet, et complètement votée au mois d'Août 1789.
Mais on ne prête
pas assez d'attention à une image hautement symbolique:
TOUS
les tableaux d'époque représentant la Déclaration de 1789 sont à
l'image classique des Tables de la Loi de Moïse. Les Protestants de
France n'ont pas été les derniers à oublier la signification de ce
symbole, et pour plusieurs raisons qu'il conviendra d'examiner. .
Le
premier président de l'Assemblée Nationale est l'ancien pasteur du
"Désert" Rabaut Saint-Etienne.
Or l'image
symbolique du Protestantisme de France était celle des Tables de la
Loi, et elle l'est restée au moins jusqu'à
la
fin du XIX°siècle.
La
Croix,
en
tant qu'image,
était
celle de la persécution,
celle
qu'on présentait aux condamnés au moment du supplice, pour leur
offrir une chance de sauver leur âme. Les choses ont progressivement
changé à partir de 1890
sous
l'influence luthérienne.
Il
va de soi que nos précisions n'ont nullement pour objet de contester
cette évolution. Avant la Seconde Guerre mondiale, un insigne des
Tables de la Loi, porté à la boutonnière, désignait une personne
Juive.
On a donc oublié
que les temples protestants de France, au-dessus ou à côté de la
chaire pastorale, portaient l'image et les paroles du Décalogue, et
cela en accord avec la Liturgie qui commençait par la lecture du
Décalogue (Exode 20):
Je suis l'Eternel
ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de
servitude.
Tu n'auras pas
d'autres dieux devant ma face, etc.
Dans
le patois
de Canaan,
surnom donné par l'humour protestant à sa propre légende,
l'Egypte, ou Babylone,
désigne
l'Eglise
Catholique.
Israël
désigne
les
Protestants,
et
ceux-ci
attendront
l'Affaire
Dreyfus
pour
voir un quelconque parallélisme entre les persécutions qu'ils ont
subies, et la situation des Juifs.
Cela dit, la Loi
comprise non comme une oppression, mais comme symbole de la Liberté,
induira un réel parallélisme moral, ressenti dans la Société,
alors
qu'il ne se traduisait pas dans la Théologie.
La
Loi, rempart des Libertés, ce principe fondamental de morale civique
éclate dans le livre du pasteur Samuel Vincent plusieurs fois
réédité, 1820, 1829, 1860, De
l'Etat du Protestantisme en France.
La Déclaration de
1789 ne représente rien moins que les Nouvelles Tables de la Loi,
données non seulement à un peuple, mais à l'humanité entière,
avec la libération des esclaves, revendiquée par Jaucourt dans
l'Encyclopédie. Et cet idéal de la Révolution par les Lumières
déborda vers l'Allemagne rhénane, avec ces écriteaux sur les
frontières: Ici
commence le pays de la Liberté
!
Hélas! Combien sont
morts sous la Terreur !
Malesherbes
dont l'enquête aboutit à l'Edit de Tolérance. Guillotiné. C'est
lui qui avait interdit aux Curés de porter sur les actes de baptêmes
des protestants des notices infâmantes
.
Louis
XVI, passionné des Sciences modernes, montant sur l'échafaud,
demandait encore des nouvelles de Monsieur de La Pérouse.
Rabaut
Saint-Etienne, guillotiné pour avoir pris la défense du Roi
publiquement. Non qu'il contestât les contacts le Louis XVI avec
l'Empire autrichien, mais parce que son exécution serait
illégale.
En effet, la Constitution disait que La
personne du Roi était inviolable.
On pouvait l'exiler, changer la Constitution, mais non pas créer un
tel précédent à la rétroactivité des lois. Après le Roi, il y
eut la Reine, qui n'était peut-être pas à la hauteur des
circonstances. Mais on ne lui laissa pas le choix de son avocat.
Aujourd'hui encore, des avocats estiment que, par leur uniforme, ils
portent son deuil. Elle aussi aura, sur l'échafaud, ce geste
d'imprévisible dignité qui sied à la Première
Dame de France:
Ayant par mégarde
trébuché
sur
les
pieds
du
bourreau:
Faites
excuse,
Monsieur
le
Bourreau,
je
ne l'ai pas fait exprès.
Après ces excès,
Napoléon "rétablira l'ordre". On sait ce qu'il en advint,
et il ne manque pas d'éminents défenseurs dans le procès jamais
clos de l'Histoire. Mais l'oeuvre des Lumières en subit des
amputations majeures. Non pas les Mathématiques, ni les Sciences,
mais tout l'édifice d'indépendance intellectuelle et théologique
qui avait pu s'appuyer sur leur floraison. La Trinité reprit son
pouvoir, avec le Symbole d'Athanase, et certains qualifièrent même
ce mouvement d' évangélique.
XIII
L'épreuve de la Liberté
La Révocation de
l'Edit de Nantes (1598) fut l'acte de naissance d'une Seconde
Réforme, en 1685. Je l'ai expliqué lors du Troisième Centenaire en
1985 dans la Revue
des Etudes Théologiques et Religieuses
de Montpellier. Elle s'est faite autour de l'idée symbole, inscrite
dans l'Edit violé par la Révocation, de la Liberté
de Conscience.
Ce n'était plus l'héritage des Réformateurs. Théodore de Bèze,
je l'ai déjà dit, considérait la Liberté de Conscience comme un
"diabolicum
dogma".
C'est lui qui présidait en 1571 le Synode où fut officialisée la
Confession de Foi de La Rochelle,
et,
avec celle-ci le Symbole d'Athanase et des articles 39 et 40 que bien
des Calvinistes sincères voudraient effacer de nos mémoires.
Parlons plutôt des Psaumes, notre plus véritable patrimoine, dû
lui aussi en grande partie à Théodore de Bèze, connus, traduits et
chantés dans l'Europe entière. Avec la Bible qui servait aussi
comme manuel de lecture élémentaire, ils ont accompagné les
familles pendant un siècle dans le silence de la clandestinité, un
silence médiatique brisé rarement par quelque procès retentissant.
La communauté protestante n'a pas témoigné envers Voltaire d'une
gratitude à la mesure de son
engagement
dans
l'"Affaire
Calas".
Aujourd'hui
encore cette "Affaire"
est bien moins connue que l'"Affaire
Dreyfus".
Voltaire passe
pour antireligieux, comme les Encyclopédistes, même dans l'opinion
protestante. Nous avons vu comment travaillait Louis de Jaucourt,
dans une cave, et d'ailleurs ses articles de religion dans
l'Encyclopédie ne scandaliseraient nullement un lecteur unitarien,
ou,
mieux
encore, un lecteur non prévenu.
Quant
à
Voltaire,
que
connaissait-il
du
Protestantisme de France? Certes
pas
l'humble
pratique de la Bible et des Psaumes, mais bien l'héritage des
querelles de synode sur la Prédestination. Quel tort ne nous
ont-elles pas fait ! Et pourtant, il est vrai que la confiance en la
Prédestination, la vraie, donna le courage indispensable, et parfois
surhumain,
qui
sauva l'existence même de la communauté protestante. Qu'est-ce que
la Prédestination,
sinon
un
regard vers le passé.
Voyez
l'Histoire,
la
grande,
ou
la vôtre,
l'intime.
Comptez
les Bienfaits de Dieu! Vous abandonnerait-il MAINTENANT?
Tenez
bon!
REGISTER.
Ce
mot
gravé
de la Tour de Constance,
attribué
à une modeste ardéchoise qui fut détenue pendant 38 ans, a pris
valeur de symbole dans nos mémoires, et parfois de mot d'ordre dans
nos comportements.
Avec la Liberté
retrouvée, il convient de garder, au moins pour nous, ces souvenirs
du passé. Mais une ère nouvelle commence, et nous ne souhaitons à
personne d'autre de vivre un tel passé. Tel est
le
témoignage que va rendre le
Protestantisme
à l'aube du
XIX°siècle.
La
société française le découvre enfin tel que la Seconde Réforme
l'a durement sculpté. C'est
une Réforme par le peuple, sans Réformateur.
On n'ose imaginer ce que nous serions devenus sans les terribles
coups de fouet que furent les dragonnades.
Mais les circonstances vont encore nous servir, par un nouveau coup
de fouet:
L'abbé de la Mennais, et son
Essai sur l'Indifférence en matière de religion
(1817). Cette brochure ouvrait une série qui révélait un beau
talent d'écrivain, mais contenait des attaques aussi venimeuses
qu'adroites, et pour tout dire un portrait caricatural du
Protestantisme. L'avocat de la défense fut le pasteur Samuel
Vincent, de Nîmes.
XIV
Samuel Vincent
A vrai dire,
Samuel Vincent n'avait aucune envie de livrer bataille. C'était un
esprit que nous dirions aujourd'hui oecuménique. S'il parla, ce fut
à la suite de sollicitations nombreuses, et non sans mainte
précaution de langage, dans ses Observations
sur l'Unité religieuse
(1820).
(Préface,
p.IV): En général, tous les raisonnements de M.de la Mennais se
réduisent à ceci: Il serait fort avantageux
d'avoir une religion fondée sur une autorité permanente et
infaillible.
Tout est dit, et
s'annonce déjà tout le débat du siècle, aussi bien pour le
Protestantisme de France que pour l'Eglise Catholique. Il s'achèvera
avec Auguste Sabatier, que nous verrons plus loin.
(p.VIII) En terminant cette préface, j'éprouve le besoin d'exprimer mon admiration pour l'ouvrage que j'ai combattu. Il y a des chapitres entiers que j'ai lus avec ravissement. Ah! pourquoi faut-il qu'un talent si beau se consacre aussi souvent à diviser et à aigrir, au lieu de réunir, d'adoucir et d'instruire !
Après
cette brochure à la dimension d'une controverse, on attendait
l'oeuvre. Elle sera double. D'abord, lancement d'une Revue
théologique d'une étonnante modernité, dès 1820: les Mélanges
de Religion, de Morale et de Critique Sacrée.
Le centre de la publication est Nîmes. Mais il y a des
représentations en librairie à Paris, Genève, Lausanne, Neuchâtel,
Londres, Strasbourg, Leipzig, Hambourg, Francfort, Montauban, Lyon,
et Valence. Autrement dit, c'est une Revue d'envergure européenne. A
lire le programme, on se croirait -format d'impression à part-
devant les actuelles Revues de Strasbourg et de Montpellier. Et il
faut saluer, en particulier, l'énorme et remarquable travail
constitué par la Revue des Livres à chaque livraison.
Toute
la littérature théologique européenne,
allemande
en particulier,
est
offerte à la connaissance d'un peuple protestant français
terriblement isolé jusqu'ici.
L'autre
partie de l'oeuvre viendra en 1829. Du
Protestantisme en France.
Le ton est donné d'emblée.
(p.1) Une ère nouvelle commence pour les protestants français. Solidement établis sur les bases mêmes de la constitution de l'Etat; protégés par un roi religieux mais tolérant; possédant déjà les principaux établissements nécessaires à leur culte; pouvant légitimement espérer que les autres ne se feront pas longtemps attendre; voyant des temples s'élever partout et de nouveaux pasteurs accordés à leurs églises, les protestants, rassurés sur leur avenir, peuvent et doivent reprendre cette vie intellectuelle et religieuse que tant de persécutions avaient arrêtée. Jamais, depuis l'Edit de Nantes, époque ne parut plus favorable... (Nous citons d'après la réédition de 1860. MC)
Ainsi,
dans le cadre des lois nouvelles, nous avons la liberté, et cette
Loi, de par notre tradition même, signifie
La
Liberté.
Nous
pouvons
nous
montrer publiquement tels que nous sommes dans le fond.
Certes,
nous n'avons pas l'égalité politique. Mais ce n'est plus
l'arbitraire du pouvoir. Nous pouvons vivre et travailler, et la
seule vraie difficulté sera de nous y habituer, d'avoir confiance.
Cette difficulté est en nous-mêmes,
(p.2)
et des ferments de discordes intérieures sont semés çà et là par
le mouvement religieux, auquel nous devons
d'être réveillés enfin de notre longue léthargie.
Les
attaques de La Mennais ne seront pas oubliées, mais pour mesurer le
retentissement de ce livre, rien n'atteint l'effet produit sur La
Mennais lui-même. La Mennais a changé. En 1834, il publie les
Paroles
d'un Croyant,
qui seront condamnées par la Hiérarchie. Le talent reste, le succès
de librairie également, et c'est par ce dernier livre, si
"hérétique" soit-il, que toute une aile marchante et
sympathique du Catholicisme se réclamera de lui.
Où
sont les Unitariens ? Samuel Vincent en est un sans le savoir, ou
sans le dire. Mais ce serait, dans un peuple forgé sous la
persécution, une parole de scission. Tout est dit dans la formule
adressée à La Mennais: réunir,
adoucir, instruire.
Les mots Arien,
ou Unitarien,
viendront de l'autre camp, celui qui réclame les Confessions de Foi
du XVI°siècle. Mais laissons parler Vincent lui-même:
(p.13)
C'est notre amour pour l'Eglise protestante qui seul est notre
mobile. Nous allons exprimer nos vues, avec franchise
et simplicité. D'autres sont mieux placés que nous pour bien voir.
S'ils avaient parlé, nous nous serions tu.
Et maintenant encore nous sommes prêt à redresser nos opinions sur
les avis qui nous seront donnés avec bonne
intention et sincérité (...)
(p.14)
Pour moi, et pour beaucoup d'autres, le fond du protestantisme, c'est
l'Evangile; sa forme, c'est la liberté d'examen.(...)
On a violemment reproché au protestantisme d'être ce que je viens
de dire: et quelquefois ses amis
ont
la faiblesse de l'en défendre. Pour moi, j'accepte le reproche, et
j'avoue qu'il m'est difficile de concevoir autrement
le protestantisme. Et non-seulement, j'ai peine à le concevoir
autrement, mais encore, c'est parce que je
le conçois ainsi que je l'aime.(...)
(p.15-16)
Le
protestantisme
excite
aujourd'hui
un
haut
degré d'intérêt dans tous les pays de l'Europe et de l'Amérique. De
grands
talents
s'y
rattachent.
Ceux
qui
ne
passent
pas
dans son sein le respectent;
beaucoup
l'aiment et voudraient l'embrasser.
Mais d'où viennent cette considération et cet intérêt ? Quelle en
est la véritable source ? Est-ce la Confession
d'Augsbourg ? Est-ce la Formule de Concorde ?* Est-ce la Confession
de foi de La Rochelle ? Personne n'y
songe; et les protestants eux-mêmes connaissent à peine ces pièces
dès longtemps oubliées. C'est comme les
défenseurs et souvent les martyrs de la liberté de conscience et
d'examen que l'on aime et que l'on respecte les
Protestants.
C'est quand ils se sont montrés tels, qu'ils sont honorés aux yeux
des hommes, dont ils ont accru les
lumières,
relevé
la
dignité
et
préparé
le
bonheur.
S'il
prenait
fantaisie
aux
protestants
de
n'être
plus que les champions de
la Confession d'Augsbourg, de celle de La Rochelle, et de tant
d'autres qu'ils ont faites, tout le monde leur
tournerait
le dos, et eux-mêmes ne seraient plus qu'un corps imperceptible,
privé de chaleur et de vie.(...)
*
Note
de S.V.: La Formule de Concorde (1580) est l'expression la plus
scolastique du luthéranisme le plus étroit.
(p.20)
(A propos des discussions dogmatiques): On commence par disputer sur
la nature divine du Sauveur des hommes,
sujet bien légitime d'une généreuse curiosité; mais quand il est
décidé qu'il est Dieu, l'on songe qu'il a paru
sur la terre avec la forme humaine, et l'on se demande si cette forme
n'était qu'un corps habité par la divinité, ou
si
c'était
un
homme
tout
entier
auquel
Dieu s'était joint.
Quand
il est statué que les deux natures étaient complètes
en
Jésus, et quand les partisans de l'autre système sont exclus à
leur tour, on se met à réfléchir encore, et l'on commence
à craindre que ces décisions ne fassent de Jésus deux êtres
distincts. Entraînés par ces craintes bien
naturelles,
quelques uns pensent et disent qu'en Jésus se trouvent bien en effet
les deux natures, mais qu'entre elles deux,
elles n'ont qu'une volonté. Nouveaux débats terminés par une
nouvelle décision qui amène une scission
nouvelle,
et par laquelle il reste réglé qu'en Jésus les deux natures
étaient complètes, et qu'il avait par conséquent deux
natures et deux volontés...
Arrêtons
ici. Le lecteur peut savourer la spirituelle ironie de l'auteur, qui
n'ira pas plus loin dans ce sens.
XV
Unitariens et Libéraux.
Nous
ne nous étendrons pas sur les débats dogmatiques. Ils ont provoqué
des disputes parfois féroces entre les Orthodoxes,
partisans des Confessions de Foi du XVI° siècle, et les Libéraux
qui contestaient leur autorité, les trouvant dépassées. Lucien des
Mesnards, évangéliste résolument orthodoxe, émettait le voeu,
dans son journal Le
Témoin de la Vérité,
qu'on pût être un "orthodoxe
aimable"....
Pour
la
plupart,
l'identité
protestante ne repose pas sur des doctrines,
mais
sur un ensemble de souvenirs respectés dans les familles, souvenirs
souvent douloureux.
Parmi
bien d'autres, le souvenir de Louise Morin surnommée la
Maréchale
à cause de sa distinction, de Beaufort-sur-Gervanne, près de Crest.
Surprise dans une assemblée dénoncée par le Curé de Beaufort,
elle ne put s'enfuir, car elle tenait un bébé dans les bras.
Détenue pendant 15 jours à la Tour de Crest, elle fut condamnée à
être pendue devant sa maison, à Beaufort. Etant au pied de
l'échelle, elle demanda la permission de donner le sein à son
enfant, pour une dernière fois, et l'obtint. Quand ce fut fini, elle
remit le bébé à une nièce qui était là, dans l'assistance, puis
elle monta sur l'échelle "en
chantant les louanges de Dieu"...
Passé 1900, on montrait encore, à Beaufort, la poutre qui sortait
du mur, devant sa maison. L'essentiel de cette Eglise, pour Samuel
Vincent, c'est qu'il l'aime. L'essentiel n'est pas d'en détenir les
clés du pouvoir, mais la Liberté reconnue, pour chaque individu ou
communauté qui s'y rattache, d'exprimer sa foi comme il l'entend. On
dira de lui qu'il est un Libéral.
Cela dit, le
courant libéral français fut bien représenté, et tout d'abord
dans un domaine capital, celui de la haute culture théologique.
Albert Réville a compté, dans le fichier de la Bibliothèque
Nationale à Paris, plus de 600 références. Dans la recension de la
biographie d'Ernest Renan écrite par M.Van Deth, que
le lecteur peut trouver dans la Besace Unitarienne, sont indiquées
ses relations érudites avec Renan, et l'estime témoignée par ce
dernier pour son Commentaire de l'Evangile selon saint Matthieu. La
science a progressé depuis 150 ans, mais la datation vers les années
80 de cet Evangile par Albert Réville reste dans les ordres de
grandeur admis. Il faut mentionner
aussi
les rédacteurs de la Revue de Théologie,
de
Strasbourg,
Edouard
Reuss,
Michel
Nicolas, Timothée Colani, pour s'en tenir aux principaux. On ne leur
a pas toujours témoigné une estime à la mesure de leurs mérites,
pour une raison simple: c'est que s'ils admiraient les théologiens
de l'Allemagne, la réciproque n'existait pas.
Il
faut enfin une mention spéciale pour le dernier d'entre eux, Auguste
Sabatier, généralement considéré comme libéral, un peu malgré
lui. Son livre le plus connu est l'Esquisse
d'une Philosophie de la Religion
(1897, 1911). Il eut un temps de célébrité en France et à
l'étranger, notamment aux Etats-Unis et en Italie, grâce en partie
à son homonymie avec Paul Sabatier que l'on croyait être son parent
proche. Un admirateur éminent fut Nathan Söderblom, futur
archevêque d'Upsal, qui le traduisit en suédois. Ce livre a suscité
divers travaux d'analyse parmi lesquels on doit retenir ceux de Jean
Deprun (1966) et de Bernard Reymond (1976). Les lecteurs unitariens y
trouveront leur miel avec l'évolution du dogme trinitaire dans
l'Histoire. Malgré toutes ces références, je ne pense pas que ce
livre nous donne la trace la plus novatrice d'Auguste Sabatier dans
l'Histoire religieuse.
Son
dernier grand livre, posthume, est Les
Religions d'autorité et la Religion de l'Esprit
(1904, 1956). Auguste Sabatier y déploie une immense érudition qui
ne se trouve pas dans Samuel Vincent, et l'initié peut même y voir,
entre
les lignes,
l'écho
des disputes du siècle qui ont divisé les protestants. Mais la
thèse fondamentale sur
la
frontière qui existe entre LA
religion de l'Esprit et LES
religions d'autorité, est tout aussi clairement exposée chez Samuel
Vincent.
L'ouvrage
le plus novateur d'Auguste Sabatier reste pour nous sa Thèse de 1870
à Strasbourg, L'Apôtre
Paul, esquisse d'une Histoire de sa pensée.
Le mot important, c'est l'Histoire,
avec
sa notion d'évolution.
La
pensée de Paul a évolué
sous
l'effet des circonstances.
Les
conséquences de cette découverte étaient dévastatrices pour
l'édifice dogmatique de la théologie chrétienne, et sans doute
dépassait-elle même en cela les intentions de l'auteur. D'autres
s'en chargèrent pour lui. On en fit une "théologie de
l'évolution", comme s'il s'agissait d'un système à la mode,
pris dans l'air du temps. La notion même de Parole
de Dieu
était atteinte. Il ne serait donc plus possible au prédicateur de
s'appuyer sur une parole biblique, prise comme texte de la base
révélée, pour s'adresser à l'assemblée des Fidèles.
Pour
un dogmaticien, c'était aussi grave que Newton excluant Dieu des
lois de la Nature.
Sans
entrer
dans
les
péripéties
parfois
douloureuses
de
cette
contestation,
résumons
quelques faits
de cette évolution dans la pensée de saint Paul.
-Le
premier problème théologique de l'Eglise chrétienne fut que le
Jugement Dernier, plus ou moins lié au rétablissement du Royaume
d'Israël sur la terre, tardait à se manifester. (Actes I,6) Paul
n'est pas encore là.
-Le
retard se confirme,
et
les premiers Chrétiens meurent.
Or,
tous
espéraient éviter cette épreuve. Là, Paul répond qu'au son de la
trompette annonçant le Messie et le Jugement, les morts monteront
les premiers. Après quoi nous, les vivants, nous nous envolerons sur
les nuées pour les rejoindre auprès du Seigneur.(1 Thessaloniciens
4,16-17)
-Encore
des retards, et des morts, des malades... Mais c'est aussi votre
faute. Quand vous célébrez le repas du Seigneur, chacun mange ses
provisions à part, sans se préoccuper des autres. C'est à cause de
cela ! J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné: c'est que
le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré... (1 Corinthiens
11,17-23) Et c'est l'inoubliable passage que tout chrétien entend
lors de la Communion.
-Un
drame s'est produit. Paul a compris qu'il devrait, lui aussi, mourir
un jour. Peut-être lorsqu'il a été livré aux bêtes
(1
Cor. 15, 32).
Mais
l'essentiel,
alors,
c'est
la foi à la Résurrection.
Pas
évident...
Difficile
à croire!
Mais
enfin,
Grecs,
vous
y croyez plus que vous ne le dites.
La
preuve,
c'est
que vous vous faites baptiser pour les morts(v.29).
(Comprenons
que des convertis,
voyant
des êtres chers disparaître sans avoir obtenu le baptême,
demandaient
des procurations pour le ciel)
Mais sous quelle forme, dites-vous? C'est vrai qu'il faut un corps,
mais il y a différentes sortes de corps: les corps à quatre pattes,
les corps d'oiseaux, les corps de poissons, corps terrestres,
corps
célestes,
et
finalement corps ressuscités qui ont la propriété d'être
incorruptible et spirituels, comme celui du Christ. Tout cela nous
arrivera d'un seul coup au son de la dernière trompette (C'est
dur. Paul prend les arguments qu' il peut, dans tout ce chapitre 15
de 1 Corinthiens).
A ce drame s'en est joint un autre: ses fidèles ont failli
l'abandonner. Cette épreuve traverse toute la 2ème aux Corinthiens.
-Paul
s'est habitué à cette idée qu'il allait mourir. Mais après tout
qu'importe. Christ est bien mort lui aussi. Si son esprit est en moi,
j'ai l'essentiel, que je sois vivant ou que je meure. Chrétiens,
nous sommes déjà citoyens des cieux.
Tout
cet achèvement se développe au cours de la dernière Epitre
sûrement authentique de saint Paul, l'Epître aux Philippiens. On
voit qu'elle n'a rien d'une spéculation dans un bureau et devant sa
feuille de papier. Chacun de nous fut jeune un jour, et vieillira
jusqu'à ce que vienne la mort, après des joies et des douleurs.
C'est l'exemple même de Paul, de sa lutte pour faire partager à
d'autres sa foi, qui sera désormais notre Parole de Dieu. D'une
petite communauté groupée autour d'une illusoire fin du monde
libératrice à Jérusalem, Paul a tiré pour les Juifs et les
non-Juifs, donc à la dimension de l'Humanité entière, une manière
de donner un sens à la vie qui traversera les siècles.
Auguste
Sabatier a tenté une analyse du même ordre concernant la vie de
Jésus, avec moins de succès, mais aussi des sources moins
abondantes. Albert Schweitzer
eut
une opinion très négatives sur
les
essais de Vie
de Jésus.
Pourtant,
le
procès
et
la Passion de Jésus sont accessibles à l'analyse historique.
D'autre part, les connaissances relatives au contexte palestinien
contemporain font régulièrement des progrès. La difficulté
majeure est, pour les passages qu'on peut dire historiques, de les
situer dans une chronologie, et de situer des paroles d'enseignement
dans cette chronologie.
Mais,
cela dit, deux évènements autres que la Croix peuvent être
considérés comme bornes milliaires dans la vie de Jésus. L'un,
apparemment quand il vient de choisir ses douze apôtres, et que sa
famille l'a cru fou. (Marc,3,21)
L'autre quand il chasse les marchands du Temple à coups de fouet.
(Jean 2,15)
On
a le droit de penser, pour l'un, que Jésus agissait pour la première
fois en tant que Messie. Quant à l'autre, il apparaît aux autorités
romaine et juive comme un scandale public, à réprimer. Donc ce
scandale doit être le point de départ de l'Affaire
Jésus.
Vouloir nier tout essai de classement chronologique par rapport à
ces deux faits, cela paraît surtout lié à la volonté de
privilégier deux évènements qui, eux, n'entreront jamais dans
aucune chronologie: la conception virginale et les scènes au
Sépulcre sur la Résurrection- auxquelles saint Paul ne fait jamais
la moindre allusion.
Autrement
dit, même si les données sont insuffisantes pour une biographie en
bonne et due forme, les recherches historiques sur la vie de Jésus
restent bel et bien à l'ordre du jour. D'ailleurs, vulgarisation ou
érudition pointue,
voire
farfelue,
elles
suscitent toujours le plus vif intérêt dans le public.
Sabatier
reçut un renfort idéologique de grand poids dans sa vision de la
Révélation par le témoignage de l'Histoire, avec son illustre
homonyme Paul Sabatier. Celui-ci, avec sa Vie
de saint François d'Assise
(1893), et plus encore avec les trouvailles qui suivirent et
confirmaient la base documentaire de la biographie du saint,
apportait aussi le même témoignage d'une biographie scientifique.
Là encore, le fait nouveau est que le message est porté non par les
reliques, les récits de miracles, ou quelques paroles isolées. Il
est contenu dans l'aventure entière d'un homme voué à l'imitation
du Christ, à travers des épreuves qui l'ont partiellement brisé,
voire mené aux limites de l'hérésie, mais finalement tenace
jusqu'à la mort. Les deux Sabatier n'étaient pas d'accord en tout,
mais ils se sont compris et aimés.
Je
ne suis pas surpris, écrit Auguste à Paul, mais très heureux de la
découverte que vous m'apprenez, et de la nouvelle
confirmation que les archives viennent de donner de l'excellence de
votre méthode historique. Les faits
littéraires,
une fois constatés, sont aussi positifs que tous les autres, et ils
se relient avec d'autres faits qui finissent par
se découvrir quand la chose est possible. Cela me donne du courage
et de la joie dans la même méthode de critique
littéraire que j'applique aux premiers documents du christianisme.
(14 janvier 1899. arch.Urbino)
Un
chemin nouveau se dessine à l'approche du XX°siècle: Nous arrivons
au Temps
des Biographies. Voyez
comme elles fleurissent aujourd'hui, et comme elles intéressent. Le
fait nouveau, c'est que les saints
ne
sont plus parfaits.
Paul
ne l'était pas.
Newton
eut ses petitesses.
C'est
le triomphe des archivistes!
Et
le débat sur la Trinité ?
il n'en est plus question.
C'est un débat d'arrière-garde. Samuel Vincent le croyait déjà,
trop tôt peut-être. Mais le temps des libéraux pourrait revenir
avec quelques rééditions. Je rappelle cette autre grande
biographie, de Sébastien
Castellion
par Ferdinand Buisson, 1892. Il suffit de tomber sur les écrits d'un
Coquerel, par exemple, pour constater à quel point il a peu vieilli,
et en tout cas beaucoup moins que ... d'autres. Ils sont tous
Unitariens de fait, sans le dire.
XVI
La
division unitarienne.
Les
circonstances n'ont pas permis aux libéraux français de se disputer
comme en Transylvanie au XVI°siècle pour savoir s'il fallait, ou
non, adorer
le Christ Jésus. Le drame d'un Ferencz David, enfermé pour avoir
opté en faveur de la négative, leur a donc été épargné. Mais on
peut neutraliser un gêneur aujourd'hui sans l'enfermer, et c'est ce
qui va se produire en France. Tous les "non-adorants" sont
exclus de la mémoire protestante française, même s'ils ont laissé
leur trace ailleurs. La division est dans la logique de la liberté
chaque fois qu'il y a des enjeux de pouvoir.
L'Autorité, depuis l'Empereur Constantin, exige l'unité doctrinale,
et donc LA
religion de l'Autorité, y compris dans le Protestantisme ainsi que
le montrait déjà Samuel Vincent, pressentant le danger à venir.
Cette
division est exprimée en France par deux interprètes éminents,
amis et adversaires,
Ferdinand Buisson,
et
Charles Wagner,
dans
un livre commun:
La
Libre Pensée et le Libéralisme Protestant (1903).
Pour
Buisson, la Libre
Pensée
est l'expression logiquement achevée de la Réforme protestante.
Ceux qui persistent dans les formes de la piété traditionnelle
manquent un peu de courage et de sincérité, surtout au niveau de
l'enseignement religieux. Finies, les concessions pour l'Unité. Il
avait été un apôtre du Protestantisme libéral. Les campagnes de
dénigrement contre sa thèse sur Castellion (1892) l'ont convaincu
que cette cause était perdue à terme. Le livre se vendit mal, et la
plus grande partie de l'édition fut mise au pilon en 1932. Il eut
une nouvelle fortune en Italie, avec Delio Cantimori,
Eretici Italiani del Cinquecento
(1939), où l'on retrouve son héros, rebaptisé Castellione...
Avec
Buisson, signalons Jean-Jacques Kaspar. Ancien missionnaire à
Madagascar entre 1901 et 1904, il s'est signalé par un talent et une
ténacité incroyables pour sauver la vie à un pauvre Malgache
d'Ambositra. Victime d'une dénonciation calomnieuse, ce Malgache
risquait d'être fusillé. Qui connaît Madagascar à l'époque
comprendra que Kaspar gênait tout le monde. Il ne revint pas à
Madagascar après son congé en France. On le retrouve au côté de
Ferdinand Buisson en 1907, comme Sécrétaire Général de la
Fédération de la Libre Pensée. Puis il mobilise la France et
l'Allemagne pour l'Affaire Francesco
Ferrer,
aussi grave que l'Affaire Dreyfus.
Ferrer est un militant catalan de la Libre Pensée, qui sera fusillé
au Monjuich à Barcelone, où se dresse aujourd'hui son monument.
Après tout, Jésus ne fut-il pas la grande victime d'un meurtre
judiciaire
?
On ne peut citer ici tout le
monde. Mentionnons encore Félix Pécaut, fondateur de l'Ecole
Normale Supérieure de Jeunes Filles de Fontenay-aux-Roses en 1880.
Sa mémoire y fut vénérée.
Encore,
Jules Steeg. Pasteur à Libourne, il fut traduit en Cour d'Assises à
Bordeaux en 1872 pour Offense
au Culte Catholique.
Il avait commis un article dans son journal paroissial ridiculisant
le dogme catholique de la Transsubstantiation. Il se défendit
lui-même devant la Cour. Si
j'avais organisé une conférence ou un débat sur ce sujet, dit-il
en substance, je n'aurais attiré personne. Mais, grâce à vous, je
passionne un large public!
Avant de délibérer, le Président
lut
le
témoignage
d'un
Evangélique
contre
Jules Steeg. Il
ne
répondit pas, et fut acquitté aux acclamations du public. On ne
s'étonnera pas qu'il ait quitté le pastorat, après le Synode
National de 1872 et la montée du pouvoir "orthodoxe".
On
le retrouve aux côtés de Ferdinand Buisson et de Jules Ferry,
créant l'Ecole Publique obligatoire. Il est l'auteur, en 1884, du
Cours d'Instruction
Morale et Civique, Autorisé pour les Ecoles de la Ville de Paris.
Ce Cours contient des articles sur Dieu comparables à ceux de
Jaucourt dans l'Encyclopédie. Le grand service public de
l'Enseignement laïque sous la Troisième République est né dans ce
petit cercle, et il n'était pas antireligieux. Steeg déclara un
jour:
"Je
me sens plus que jamais, à travers tout cela et en cela, pasteur
protestant. Je ne perds pas de vue "la seule chose nécessaire"
bien qu'il soit impossible de la présenter directement à notre
peuple. A Paris, à Lausanne, je serais resté théologien. Ici, et
dans toute la France, il faut aborder le problème autrement. Je
n'aurai pas perdu mon temps si je parviens à créer un foyer de vie
politique, morale, intellectuelle, qui rayonnera sans moi, après
moi. Peut-être ne parviendrai-je à rien du tout.
C'est
bien possible.
Mais,
du
moins,
j'aurai
tenté.
(Cit.
F. Buisson.
La
Foi laïque,
Paris
1912,
p.65)
L'oeuvre de tous ces protestants éminents a été effacée même de la mémoire protestante.
Après
une évocation des "non-adorants" qui ont quitté l'Eglise
Protestante, parlons de ceux qui sont restés. La réplique de
Charles Wagner est une défense émouvante et éloquente. Wagner
reste un des plus authentiques représentants du Libéralisme
Protestant.
La foi s'appuie sur des liens affectifs puissants. Tous les témoins
cités plus haut sont allés vers la Libre Pensée, qui se proclame
indépendante de toute Eglise, à la suite de scandales qui les ont
personnellement atteints. Sont restés pasteurs d'une Eglise ou bien
chrétiens confessants ceux qui n'ont pas ressenti de scandale. Ils
ont été retenus par les grands souvenirs anciens, et par des liens
affectifs comme la vie réelle en impose parfois. Ils ont eu la
confiance que
leur
dévouement
à l'unité serait reconnu pour ce qu'il était,
et
non pour l'aveu de leurs erreurs.
L'appui
positif
de
la
foi
chrétienne,
et
l'on peut dire rationnel,
ce
sont les faits incontestables de l'Histoire Biblique et surtout
Evangélique. C'est encore dans l'Histoire que la Foi Chrétienne
trouve son appui le plus sûr.
Avec
Wagner,
mentionnons
le
pasteur
Xavier
Koenig.
En
1902,
il
est le principal orateur des Conférences
Evangéliques Libérales.
Il s'agissait du problème de l'Histoire sainte et de son
enseignement. De l'absolue sincérité due aux enfants.
L'année
suivante,
en
novembre 1903, c'est la Conférence
Evangélique (orthodoxe)
de Bordeaux, avec 500 participants. Le principal orateur, sur le même
problème, est le pasteur Adolphe Causse. S'appuyant notamment sur
des autorités orthodoxes reconnues, telles que le Professeur
Alexandre Westphal, il développe lui aussi le thème de la sincérité,
due à des enfants confrontés tous les jours à l'agressivité d'une
laïcité antireligieuse militante. La Création
en sept jours
ridiculise
à leurs yeux pasteurs et moniteurs qui s'y obstinent. Et il fait
approuver à l'unanimité une motion recommandant les manuels de
Xavier Koenig....et que l'Autorité n'approuva point. Il n'y eut
aucune suite. Si, tout de même. Peu de temps après, on apprend par
le pasteur Jean Bianquis, Sécrétaire Général de la Société des
Missions Evangéliques, alors à Madagascar, que Xavier Koenig était
candidat pour venir comme missionnaire à Madagascar. Et Bianquis
déplore que Koenig soit refusé sur la seule décision du Directeur
des Missions. Il eût aimé travailler avec Koenig, bien plus
qu'avec...d'autres.
C'est
ainsi que se réaliseront peu à peu, avec le temps, certaines
hypothèses pessimistes de Samuel Vincent:
Le monde leur
tournera le dos, et ils ne seront plus qu'un corps imperceptible.
CONCLUSION
Les
liens affectifs peuvent permettre à une communauté de Résister, et
longtemps.
Mais
la Liberté seule a le pouvoir d'attirer l'adhésion, jusqu'à la
conviction et parfois le sacrifice de soi.
Jean-Jacques
Kaspar s'est découvert à Madagascar une magnifique vocation
d'avocat dans la défense d'un malheureux a
priori
condamné. On pense à une variation sur la parabole de saint
Matthieu, ch.25,
Quand tu as défendu l'un de ces petits, c'est MOI que tu as défendu.
Mais
la compassion ne fait pas de la victime un Maître à suivre.
C'est
dans la vie et dans l'enseignement de Jésus qu'il faut trouver des
raisons d'être chrétien.
Il
faut s'appuyer
sur
l'Histoire.
A
notre
siècle
de biographies,
c'est
vrai plus que jamais. L'Autorité ne peut plus reposer que sur des
convictions partagées, sur la confiance qu'engendre la sincérité.
Dans cet esprit, quel est pour
nous l'enseignement de Jésus ? Il est double.
Le premier point est l'exception à la Loi.
Il
ne s'agit nullement de contestation idéologique. Sa forme la plus
précise se trouve dans Luc 6,4: Voyant
quelqu'un travailler le jour du sabbat, Jésus lui dit: Homme, si tu
sais ce que tu fais, sois béni. Mais si tu ne le sais pas, sois
maudit, car tu transgresses la Loi.
(Cette
parole n'est pas dans tous les manuscrits. C'est le grand exégète
Joachim Jeremias (Unbekannte
Jesusworte,
1963, Paroles inconnues de Jésus) qui en a donné une étude
approfondie, concluant à son authenticité).
C'est
dans ce contexte qu'il convient d'apprécier la déclaration
de
Jésus
avant de guérir,
un
jour de sabbat, un paralysé de la main: Il
est permis de faire du bien les jours du sabbat
(Matthieu
12,12).
La
Loi est une expression de la volonté bonne de Dieu, mais il est
permis à l'homme, en allant dans le sens de la volonté même de
Dieu, de chercher à faire mieux encore. Là est la Liberté, et elle
ne s'arrêtera même pas aux actions de Jésus. Il dit ainsi à ses
proches: Celui
qui croit en moi fera aussi les oeuvre que je fais, et il en fera de
plus grandes, parce que je vais au Père
(Jean
14,12).
Le
second
point
est
que
l'essentiel
n'est
pas
de
professer la Loi,
mais
d'agir selon ce qu'elle ordonne.
Tel est le sens de la célèbre parabole du Bon
Samaritain
(Luc
10,30-37).
Les
Samaritains étaient les ennemis intimes des Juifs. Aussi, prendre
comme exemple un tel fait divers n'a pas manqué de rendre Jésus
suspect de trahison. On le lui dit même en face à l'occasion:
N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain, et que tu as
un démon
? (Jean
8,48).
Le Samaritain joue ici, moralement, le même rôle que le Grec dans
la pensée de saint Paul:
Il est le non-Juif. Notre frère est partout, dans le monde entier,
s'il agit d'une manière comparable à ce qu'est pour nous l'Action
Bonne.
N'ayons
surtout pas la prétention d'être les seuls à faire de ces deux
points la base de notre religion: on la trouve exprimée avec talent
dans le livre de Marek Halter, La
Force du Bien
(1995), et aussi sur la Colline des Justes à Jérusalem. On la
trouve aussi dans les traditions de l'Islam, et plus loin encore.
Dans
une lettre écrite
en 1999, Jacques Proust, le grand spécialiste de l'Encyclopédie,
devenu japonisant distingué, reconnaissait cette base, en
particulier dans l'amidisme,
inspiré du Bouddha Amida, dont le sanctuaire principal est à
Kamakura au Japon. Maurice Leenhardt, autrefois, reconnaissait la
valeur religieuse du pilou,
une fête des Canaques de Houaïlou en Nouvelle-Calédonie.
En
sorte que, la vie étant limitée, il ne s'agit pas de vouloir nouer
des relations avec tout le monde. Notre attachement à la communauté
qui nous a fait naître est un attachement culturel. Il ne prétend à
aucun monopole de la vérité, n'exclut pas non plus les "orthodoxes
aimables".
Quand on a reçu dans la foi protestante l'Evangile et la Liberté,
il n'est pas possible de renoncer à cet héritage. Mais on peut
comprendre les attachements culturels des autres, connus ou inconnus,
à leur propre héritage, et aussi les accueillir fraternellement
s'ils viennent à nous.
Arius
fut calomnié, et l'est encore, puisqu'en fait il croyait à la
divinité de Jésus.
Mais le débat a changé de nature.
Auguste Sabatier fit un jour une leçon sur les adieux de saint Paul
aux Chrétiens d'Ephèse (Actes
20,17-37).
Paul Sabatier rapporte l'émotion des étudiants qui se retirèrent
ensuite bouleversés
dans leurs chambres. (Le
Protestant,
6 mars 1897).
Ces Chrétiens d'Ephèse ne sont pas très loin de nous.
Adorer
le Christ,
ou
ne pas l'adorer. Si je tiens le Christ pour mon Maître, qu'importe
le mot ? Nous sommes sortis du
Labyrinthe d'Athanase.
Maurice
Causse
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